La couronne et la tiare
coureurs dépêchés en avant dès l’aurore étaient revenus en toute hâte : le captal avait commandé à ses troupes d’avancer en direction de Reims pour empêcher de toutes ses forces – c’était évident – le sacre de Charles V (394) . On avait cru qu’il marcherait vers Pont-de l’Arche pour couper le passage de la Seine aux Français et les attendre en rase campagne. Une nuit avait suffi pour qu’il changeât ses desseins.
Quand les troupes du nouveau roi passèrent la Seine à Pont-de-l’Arche, la rumeur courut que Guesclin chevauchait à l’arrière avec l’Archiprêtre, Jean de Châlon, comte d’Auxerre et son puîné, Hugues : le vert chevalier , le vicomte de Beaumont, le sire de Beaujeu, Baudouin d’Annequin, maître des arbalétriers, Oudart de Renty, Mouton de Blainville, Baudrain de la Heuse et quelques autres grands seigneurs. Il y avait aussi, disait-on, des renforts inattendus appartenant à la Gascogne et qui avaient lâché les Anglais : les gens du seigneur d’Albret, Petiton de Curton, Perducas d’Albret, Amanieu de Pommiers – ce dont Tristan ne fut guère surpris – et le soudic de la Trau.
– Je me demande encore, dit Paindorge comment nous avons fait pour ne pas nous perdre en chevauchant de nuit.
– La bonne chance, dit Tristan. Elle nous a permis de ne pas nous heurter aux Anglais et aux Navarrais… Il me semble en flairer partout… Je me demande, puisque Amanieu de Pommiers est parmi nous, où peut bien se trouver Fouquant d’Archiac !
– Où allons-nous vraiment ? demanda Paindorge.
– Peut-être à Reims, dit Matthieu.
Il eût aimé assister au sacre.
– Holà ! fit-il, regardez cet homme qui s’éloigne de nous.
– Je n’ai fait que l’entrevoir, dit Tristan, pourtant je jurerais qu’il était à Vernon avec le captal de Buch.
– Si j’ai toujours de bons yeux, dit Paindorge, c’est un Goddon.
Un espie du roi d’Angleterre… et je crois par ma foi que son nom est Faucon (395) .
– Voyez comme il s’envole !… Nous avons eu ce serpent dans notre sein, et nul ne s’en est aperçu !
L’homme galopait. Son départ, sens contraire à la marche de l’armée, avait surpris des hommes ; cependant, ils étaient trop inquiets de leur sort pour s’élancer à sa poursuite. Un carreau l’eût peut-être atteint si quelque arbalète avait été armée. Nul ne s’était précautionné pour une contingence pareille.
– Si c’est un espie, dit un guisarmier à cheval, Dieu le châtiera bientôt. Mais voyez : un autre s’en va à sa ressuite !
– Non, dit Tristan. Ce n’est pas un pourchas. Il va le rejoindre. Ce sont deux compères qui ont eu la courante auprès de nous (396) .
– Ils l’auront plus encore demain ! ricana Paindorge, sans conviction.
– Je connais cet homme, dit le guisarmier. C’est messire Pirie, un écuyer de l’Archiprêtre (397) .
Les chevaux avançaient lentement. Tristan, de loin en loin, se promettait de ne pas se retourner : même hors de sa vue, Guesclin et l’Archiprêtre lui donnaient du mésaise. Se pouvait-il que ces deux-là fussent unis par le même désir de vaincre les Gascons, les Navarrais et les Goddons ? La fuite des deux hérauts signifiait qu’il y avait dans l’air de la traîtrise ou quelque défection en germe. Or, Guesclin tenait fermement pour le roi de France. Il l’avait prouvé. C’était d’ailleurs le seul moyen dont il disposait pour développer sa fortune.
– Nous devrions piéter sur le chemin de Reims, dit Paindorge d’un ton de reproche où Tristan crut discerner de la peur.
Il s’encoléra sans pouvoir mettre un frein à la mélancolie qui l’accablait :
– A quoi servirait-il que j’aille informer le roi d’une bataille imminente ? Il saura bien assez tôt si nous l’avons gagnée ou perdue. Son père et son grand-père auraient chevauché parmi nous…
– Ah ! Oui, parut regretter Matthieu comme si ces deux présences eussent garanti la victoire.
– Charles ne s’attache point aux traditions. Il est baratière, circonspect. Il préférera les chicanes et la politique aux grosses passes d’armes. Je l’ai vu quand il eut la cacade à Poitiers… Il a eu sous ses yeux, quand Marcel régnait sur Paris, la vision d’un peuple ameuté tuant ses maréchaux : nouvelle cacade… Il a vu son père dépenser avec une largesse folle l’argent sou tiré aux humbles… et je ne parle pas de l’immense rançon !… Si le
Weitere Kostenlose Bücher