La couronne et la tiare
chaudes.
– J’ignorais tout, monseigneur.
C’était mentir. Ce que Thierry Champartel lui avait confié, à Gratot, c’était que le roi voulait Jeanne pour son fils Philippe, surnommé le Hardi depuis qu’à Poitiers il avait fait merveille tandis que son frère aîné, devenu dauphin de France, guerpissait honteusement.
Monseigneur Charles soupira, plissa sa grande bouche d’avaleur d’hosties et prit son temps pour ne pas épuiser vélocement le plaisir d’une révélation qui confinait à la volupté.
– Il veut ce mariage. Elle est jeune et lubrique, il est lascif et de sens rassis… si j’ose dire. Le produit de… euh… l’addition des âges et des corps, une fois divisé par deux, ne donnerait point un résultat équitable.
– Assurément.
– La princesse est jolie. Déjà deux mariages et deux morts suspectes… Sans compter les autres… Jeanne, à plus de trente ans, prend des airs de pucelle. On lui accorde une expérience de fille déleurrée… Non ! Non ! Je ne la souhaiterais même pas à mon mains-né Philippe si je le détestais !
« Holà ! songea Tristan, c’est justement ce qu’on dit. Son hardement, à Poitiers, t’a humilié sans pourtant que tu en sois témoin ! »
– Ce serait, Castelreng, vouloir le trépas d’un frère bien-aimé.
D’un geste de sa main saine, le dauphin chassa des idées funèbres.
– Laissons cela. De l’un ou l’autre mariage ne naîtrait rien de bon, pas même des enfants. Si vous voyez le roi coqueliner auprès de cette Jeanne, quittez Avignon à franc étrier pour m’informer. J’enverrai un message au Pape… Un mariage !… Et d’ailleurs. Castelreng, où se feraient les noces ? En Angleterre !… Mon père y devra retourner s’il n’acquitte point sa rançon. Mieux vaut qu’il revienne seul sur la Grande Ile pour y jouir de ses nouvelles habitudes.
Le visage sombre s’éclaira :
J’étais, chevalier, dans l’obligation de vous entretenir comme je le ferais avec un de mes familiers… Bien sûr, bouche cousue.
Je vous en fais serment sur ma vie, monseigneur.
Cette révélation et ce commandement frappaient moins Tristan que le fait d’avoir ignoré partiellement cette histoire. Cela prouvait à quel point il s’était désintéressé de la Cour depuis son retour à Paris. Il agirait scrupuleusement comme on le lui demandait.
– Voilà, dit le dauphin en se versant une rasade d’un vin lourd, couleur sang. Je vous porte la santé. Bon courage et bonne chance… et que Dieu vous garde !
De sa main légère, pâle, osseuse, il leva son gobelet à hauteur du front. Il avait grand besoin de ce geste emphatique et puéril pour affirmer, sans doute, son appartenance au trône. La chaire sur laquelle il reposait en prenait certainement pour lui l’apparence.
– Partez, dit-il d’une voix changée, autoritaire, – royale avant la lettre. Oubliez ces confidences. Ce fut l’effet de ce bon vin de Chypre… Soyez fort attentif et veillez sur le roi.
Tristan sentit qu’il n’existait plus. Poussant la porte, il faillit se heurter à un homme en livrée royale, porteur d’une aiguière. Un breuvage y fumait tel l’encens dans une cassolette, mais au lieu d’une odeur de myrrhe et de mastic 31 , c’était une flaireur de médicament qu’exhalait la trompe d’argent.
III
– Est-ce Avignon ? demanda Paindorge.
– Non : Villeneuve… Avignon est plus loin, de l’autre côté du Rhône.
– J’espère que le nouveau Pape a de bonnes cuisines, de bons queux pour apprêter la nourriture et des appartements étroits…
– … bien chauffés, acheva Tristan.
Le froid s’était accru sitôt leur longue traversée de la Bourgogne. La pluie s’y était mêlée. Maintenant l’hiver montrait les crocs. Un vent glacé mordait les chevaux et les hommes.
– Nous avons perdu trop de temps, dit Tristan.
Il pouvait parler sans crainte : ils chevauchaient très en avant d’une compagnie d’hommes d’armes dont, à défaut d’exercer le commandement, il avait la surveillance. Jean II qui, depuis Paris, lui avait assigné cette tâche, se disait content d’avoir laissé les rênes du pouvoir à son fils, lequel devait enrager sans doute d’être à nouveau lieutenant général du royaume au lieu de gouverner pleinement celui-ci.
Hormis cette satisfaction hautement déclarée, nul ne pouvait, dans l’immédiat entourage du souverain, connaître les pensées voire les
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