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La couronne et la tiare

La couronne et la tiare

Titel: La couronne et la tiare Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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et pour contrecarrer les desseins de ces milliers de malandrins, Boucicaut était parvenu à convaincre le roi qu’un seul remède existait contre cette peste rouge : prêcher une grande croisade au-delà des mers et reconquérir. Jérusalem. Cette idée qui ne répugnait pas à la « sagesse » du dauphin flattait les instincts chevaleresques toujours vigoureux de son père.
    Tandis que Tristan retenait Alcazar afin d’être plus près du roi, le vieux maréchal reprit sa litanie :
    – J’irai moi-même, sire, s’il le faut, jusqu’au Saint-Sépulcre. D’autres nous ont frayé la voie pour reconquérir les saints lieux.
    – Vous ne me l’aviez point dit, Le Meingre !… Qui ?
    – Nicolas Stamworth, l’ancien capitaine de Régennes. Il a pris la Croix et ses hommes aussi. Maintenant, ils sont en Orient.
    – Des Goddons !… Qui d’autre encore ?
    – Jean d’Arleston, l’écuyer d’Édouard III… Eh oui, sire : l’homme qui, voici deux ans… en janvier si ma mémoire est bonne, s’est emparé de Flavigny.
    – Derechef un Goddon !
    – Certes, sire, mais il s’est accointé avec plusieurs seigneurs bourguignons, particulièrement Guy de Pontailler 34 , pour accomplir un pèlerinage à Notre-Dame de Nazareth.
    – C’est vrai qu’il faut là-bas des hommes de chez nous. Mais une vraie croisade ne peut se réaliser qu’avec l’appui de la papauté. Or, le Pape est tout neuf, si j’ose dire.
    – Neuf, sire ? Il est de chez nous. Il pensera comme vous, comme nous 35 .
    Avant même qu’ils eussent entrepris leur chevau chée, on leur avait appris la mort d’Innocent VI. Le roi s’était inquiété. Qui succéderait au Saint-Père ? S’il ne pouvait se flatter d’influer sur l’élection, il avait salué le prochain avènement comme un signe de la Providence il allait rencontrer un nouveau Pape, sans doute plus jeune, donc plus malléable que l’ancien dont il n’avait d’ailleurs point à se plaindre. Il s’était fort peu inquiété des mystères du conclave. Deux hommes dévoués régnaient sur cette assemblée les cardinaux de Boulogne et de Talleyrand-Pé rigord. Des dissensions les opposaient, de sorte que, ne pouvant se faire nommer eux-mêmes, ils s’accorderaient sur un tiers. Un candidat s’était présenté. Originaire du Limousin, son pays natal était sous la tutelle de l’Angleterre. On l’avait écarté. Le choix s’était porté sur un homme qui n’appartenait même pas au sacré collège mais qui était de France : Guillaume Grimoard (223) . Tout jeune, il avait embrassé la vie monastique ; on le disait pieux et intègre. C’était à peu près tout ce qu’on savait de lui.
    Devrai-je aller vers lui ou viendra-t-il vers nous ?
    –  Sire, il viendra vers vous. Avant que d’être Pape, il est votre sujet.
    Le comte de Dammartin souriait, tout fier, tout revigoré d’avoir lancé cette réponse. Tristan, qui n’avait fait que l’entrevoir à Paris et Vincennes, le trouvait sans intérêt. C’était un grand brun glabre aux yeux noirs, le nez camus, les membres épais, quoique trop gonflés de graisse. Il n’était aucun prud’homme plus empressé que lui auprès du roi.
    – Je n’ai jamais vu ce Grimaud qui se fait appeler dorénavant Urbain V, dit Boucicaut. J’aimais bien Sa Sainteté Innocent VI. Puissiez-vous, sire, ne point regretter le feu Pape et obtenir de son successeur tout ce que vous demanderez !
    Nul ne broncha. Les fers des chevaux crépitaient sur le sol dur, leurs lormeries tintaient gaiement. Parfois retentissait le heurt d’une épée contre un étrier, l’éternuement ou la toux d’un homme d’armes enchifrené. Et l’on avançait sans hâte dans ce pays où çà et là quelque ruine évoquait – comme partout ailleurs depuis Paris – le passage des routiers, leurs hurlements et ceux de leurs victimes ainsi que les grondements des flammes.
    – Ah ! Ah ! ricana tout à coup Jean II, nous n’aurons point, nous n’aurons jamais été inquiétés par quelques-uns de ces linfars qui dévorent ce royaume… Et Villeneuve est purgée de cette vermine.
    Il s’était refusé à dire «  mon royaume », et même « notre royaume » comme pour exorciser toute embûche malencontreuse. Il faisait de la France un pays innomé, impersonnel, et révélait ainsi qu’il avait redouté, comme lors de son retour d’Angleterre, d’être assailli par quelques hordes impitoyables et d’être contraint de

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