La couronne et la tiare
devançaient une ambassaderie de bourgeois endimanchés. Un des prud’hommes chevauchant un coursier houssé de soie vermeille galopa au-devant du roi, le salua bien bas et se présenta :
– Pierre Pèlerin (226) , sire, de l’Hôtel d’Arnoul d’Audrehem.
– Arnoul n’est donc point là pour me conjouir ?
– Il était à Toulouse, sire. De là, il a dû partir pour Carcassonne et de là il se rendra, je crois, à Béziers. Il ne tardera point à être auprès de vous.
Tristan ne pouvait voir le visage du roi ; cependant, il le devina contrarié. A l’inverse, un sourire égayait la face pâle, barbue, de Boucicaut.
– Messire Arnoul, ajouta Pierre Pèlerin, vous a choisi une belle demeure pour hôteler 36 dans Villeneuve.
– Et vous serez mon hôtelaire 37 ?
Pèlerin se courba cette fois sans égards particuliers : le roi était le roi mais c’était un vaincu :
– Oui, sire. Je ne serai point seul.
Jean d’Artois conduisit son cheval près du roi.
– Et nous ? dit-il abruptement.
Il était grand, roux comme son père, arrogant comme lui mais moins entreprenant. S’il avait suffi d’un héron à Robert d’Artois pour provoquer entre la France et l’Angleterre une guerre sans merci, peut-être perdurable, il apparaissait, lui, comme un homme dépourvu d’astuce et sans doute d’intelligence (227) . Il était le seul à porter un camail et un jaseran de mailles fines, sans grand pouvoir de protection mais qui le rassuraient tout de même.
– Toutes les dispositions ont été prises, beau sire, non seulement pour votre hôtel mais pour vos pourvéances.
– C’est bien, dit le roi. Avec vous, Jean, et Arnoul, dans ce qui nous est offert, nous nous retrouverons comme naguère à Londres.
C’était révéler incidemment – ou plutôt confirmer – que la captivité en Angleterre avait eu certains attraits que la royauté de France proscrivait aux prud’hommes anglais. Mais déjà, comme pour interdire à ses proches quelques réflexions acides et désobligeantes, le roi avançait, entre Pélerin et Artois suivis du Grand Prieur et des autres prud’hommes.
Assez loin en retrait, Tristan regarda les grosses tours et, à leur base, les multiples consoles de leurs mâchicoulis abandonnées dans l’herbe par les tailleurs qui s’étaient joints à la foule. Cet appareil guerrier lui fut indifférent. Devant, Boucicaut commençait à se redresser. Tancarville regardait lui aussi les pierres et les tours ventrues. Il se pouvait qu’il les comparât aux défenses de son château dont il parlait parfois avec mélancolie. Dammartin, la face penchée, semblait inaccessible. Tristan de Maignelet tapotait l’encolure de son cheval afin peut-être de le rassurer car le hourvari augmentait.
« Nous sommes des vaincus de fort bonne apparence. »
Tous ces chevaliers supposément unis ne s’entendaient guère. Orgueilleux et ignorants, ils attachaient une importance extrême à des riens : le goût du vin, celui d’une soupe ou d’un cuissot, la croupe d’une gentilfame ou d’une servante. Religieux, certes, ils s’enflammaient parfois au récit d’une bataille qu’ils convenaient avoir pu gagner s’ils l’avaient entreprise autrement. Poitiers revenait fréquemment sur leurs lèvres, non point comme le glas de leur impéritie mais comme une prouesse malencontreuse. En versant à nouveau un sang imaginaire, ils rava laient le fiel du déshonneur et de la défaite. En un même ferment de haine, leur esprit concentrait les passions de la guerre et les humiliations où les avait entraînés un courage certes éminent mais faussé à l’avance par leur inguérissable présomption. Il suffisait d’évoquer les milliers de morts de Brignais pour les réinstaller à la fois dans leur peau et dans la défaite. Moins que le roi sans doute, ils avaient craint les routiers. Ils allaient s’engager dans une foule en liesse et se prendre, Jean II pour Artus, Tancarville pour Gauvain, Artois pour Perceval, Dammartin pour Lancelot, Maignelet pour Galaad. Sans compter, cheminant à l’arrière, les chevaliers de petite estrasse 38 comme lui, Castelreng, les écuyers moins accorts que ne l’était Paindorge, et les sergents qui, à de rares exceptions, se croyaient des leudes tout droit sortis de Camelot.
Ce fut, à l’ombre de l’entrée, la cohue des évêques mitrés et crossés, des moines, des édiles et des bourgeois ; les cris si confusément mêlés qu’on
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