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La couronne et la tiare

La couronne et la tiare

Titel: La couronne et la tiare Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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n’en pouvait discerner aucun sauf roi. D’un coup d’encensoir, un prélat fît une aspersion en direction de Jean II, tandis qu’un échevin, viguier ou consul jetait en l’air son chapeau. On s’arrêta. On sourit. Tristan trouva que la cité ne se pouvait comparer avantageusement à Carcassonne. Et pourtant, c’était le même sol vert, montueux, crêpé de quelques arbres chauves, et à droite et à gauche les profils sévères d’une enceinte bastionnée dont les tours étaient soit décoiffées, soit parées de tuiles bombées telles que celles de Castelreng. Sur les chemins de ronde, pareils à de petits astres tombés du ciel, les barbutes, quasiment immobiles, alternaient avec les lunes des fauchards. Au-delà, inclinée vers le Rhône, s’étendait ce qui subsistait d’une campagne féconde incendiée par les routiers, écrasée par la piétaille, aplatie çà et là par les fers des chevaux ou labourée par les jantes des chariots de butin. Et l’on voyait au loin, dans les feux de ce jour froid et venteux, un terroir fauve et nu où des ruines élevaient leurs chicots charbonneux.
    – Eh bien, messire, dit Paindorge. Le temps est froid, l’accueil est chaud. Reste à savoir ce que seront les prochains jours.
    Il avait passé sur son hoqueton une pelisse en peau de chèvre. Il frémissait d’émoi ou de froid tout en observant les bastions gris parfois revêtus d’un peu de lierre et cette foule dont le charivari ne cessa que pour mieux reprendre quand le roi l’eût saluée.
    On franchit le seuil. Les voûtes de l’étroite courtine résonnèrent à grand hahay 39 . Tristan vit la vraie cité avec ses maisons claires, hautaines, et ses pavés disjoints, crottés, pisseux. Il vit aussi une salle éventrée où des routiers sans doute avaient logé, dormi, assouvi leur passion des buveries et des notes. Quelques maisons éborgnées arboraient des tentures sans qu’on y vît un seul visage.
    On atteignit un carrefour. La foule attendait, tout aussi dense qu’au-dehors des murs. Non, la cité n’avait point trop souffert. Elle accueillait le roi comme Jérusalem avait accueilli le messie, et c’était en quoi la ferveur des Villeneuvois s’égarait. Jean II n’avait rien d’un sauveur, encore moins d’un rédempteur. C’était un homme las, un captif en sursis, une sorte de mendiant muni, pour tout viatique, de l’or pointu de ses éperons et de celui de la simple couronne enfouie dans un sac confié à Boucicaut.
    – Le Pape est absent, releva Paindorge. Et pourtant, le roi lui a fait annoncer sa venue.
    – Sa cité n’est point celle où nous sommes et des deux souverains, c’est lui le plus grand… Le roi voulait visiter Clément VI ; monseigneur Urbain V se sent moins concerné par tout ce qui devait se dire entre le feu Pape et notre sire Jean… Et puis, Robert, Villeneuve n’est point ville sainte, bien que remplie en notre honneur par moult gens d’Église et de moutiers.
    Des clercs nombreux se pressaient au-devant des curieux qu’ils contenaient autant que les hommes d’armes affectés à leur surveillance. Les uns étaient vêtus d’une bure propre, les autres, miséreux dans leurs haillons couleur de terre, suscitaient la pitié plutôt que le respect. Agroupées aux endroits les meilleurs pour être vues, les femmes paraissaient en sur nombre. Par leurs garnaches et manteaux entrouverts, leurs vêtements avaient de quoi surprendre. Colliers et pentacols d’or, de gemmes, de perles étincelaient sur leurs robes de cendal ou de satanin, souvent passementées d’or. Les cottes et les gonnelles fendues du cou au nombril et rapprochées çà et là par des fermails orfévrés semblaient des invites à la luxure. Des garde-corps échancrés à la façon d’Espagne devaient découvrir à chaque pas des chemises légères et, en deçà, des appas séduisants. Des cordelières d’argent ou d’or, en fils ou plaquettes, soulignaient les tailles graciles et affinaient les fortes. Sous les huves, les volets de soie et les amusses légères piquetées de fleurettes factices, les visages n’étaient que bienveillance et gaieté.
    – Je comprends, messire, l’appétit des routiers.
    – Moi davantage encore que tu ne l’imagines.
    Si l’Archiprêtre, Tallebarde, Bertuchin, Naudon de Bagerant et autres Bérard d’Albret avaient eu connaissance de ces richesses, comment eussent-ils pu refréner leur malefaim d’argent, d’or et de pierreries ?
    – 

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