La couronne et la tiare
Saint-Père. Il ne l’avait point fait et en paraissait plus confus que courroucé.
– Je compte sur vous, Boucicaut ! répéta-t-il sur le ton d’une injonction dépourvue, cette fois, de familiarité. Il ne faut pas que Sa Sainteté se méprenne sur tout.
Et le doigt menaçant Mgr Anglic :
– Un jour viendra, révérendissime, où nous ferons payer aux Anglais tout ce dont ils nous sont redevables, mais, pour le moment, leur volonté prévaut sur la nôtre.
– Et le prince de Trastamare ? demanda un évêque dont le siège jouxtait celui du frère de Sa Sainteté. Sa volonté prévaut-elle aussi sur la nôtre… ou la vôtre ?
– Aucune disposition particulière et supplémentaire ne vous permet…
Discourtois et même offensant, le prélat interrompit le roi :
– Libérés de leur guerre entre Armagnac et Foix, les Compagnies se reforment… Qu’elles s’allient aux Espagnols et ces innombrables herpailles grignoteront votre royaume.
Il avait un accent italien. Il souriait un peu : les malheurs de la France ne le touchaient qu’à peine, et c’était pourquoi sa voix, pour onctueuse qu’elle fut, répandait dans les oreilles de Jean II une musique corrosive. Jean de Neuville s’en aperçut. Il se leva, se pencha vers les hommes aux robes de belle pourpre, tous inquiets. Sans doute imaginaient-ils Avignon, cité papale inviolable et sacrée, envahie par des hordes impies autant qu’impitoyables.
– Mon oncle Arnoul d’Audrehem fait en sorte que tout soit au mieux et que les Espagnols ne commettent aucun acte irréparable. Il vient de négocier l’imposition d’un quart de florin par feu pour l’entretien des hommes d’armes. Ils sont moult nombreux et s’en sont allés combattre Perrin Boias, qui s’est emparé du moutier de Saint-Chaffre. Pierre-Raimond de Rabastens, le sénéchal de Beaucaire, en a pris le commandement. Le comte de Polignac et ses guerriers doivent les rejoindre. Mon tayon 82 a également mis toutes les cités en état de défense.
– … et de dépense, maugréa quelque part un évêque.
Mgr Anglic redemanda la parole :
– A propos de dépense, sire, les gens de Villeneuve dont les vignes et les champs se trouvent à l’en-tour de la lice où ces quatre chevaliers se sont affrontés, demandent instamment des dédommagements. Ces deux affrontements se sont révélés désastreux… surtout pour les vignerons !
– Ils étaient effrayés, ils seront défrayés.
Le roi s’était permis de sourire à lui-même. Il avait prouvé son esprit. Sa bouche retrouva sa maussaderie :
– Je crois que nous en avons terminé, messeigneurs et messires. Henri, notre tabellion, a tout consigné en termes appropriés, sauf, évidemment, ce qui fut de peu d’importance.
Le scribe acquiesça sans relever la tête. Le roi s’en détourna. Il semblait maintenant respirer avec peine. Un sentiment violent l’étouffait sur la nature duquel Tristan resta perplexe. Derechef le doigt royal se tendit :
– Vous êtes guéri, Castelreng.
– Je le crois, sire. Je suis de jour en jour en bien meilleur état.
– En état de chevaucher.
Ce n’était pas une question. Une espèce d’angoisse perça le cœur de Tristan. Il se leva.
– Vous allez porter vélocement au dauphin différentes lettres que j’ai dictées. Elles comportent des instructions particulières sur la conduite qu’il lui faut tenir envers nos ennemis… Bien qu’il soit informé sur le conseil de ce jour d’hui, répondez-lui, s’il vous interroge, que nous sommes maîtres de toutes les situations. Venez…
Tristan suivit le roi dans une encoignure, assez loin d’une assistance dont il n’avait plus souci.
– Dites à mon fils que je vais bien. Que je conserve en main le destin de la France. Qu’il attende paisiblement mon retour.
Pour autant qu’il put interpréter cette phrase sibylline, Tristan songea : « Tu rêves, roi ! Tu ne préserves point la France. Tu la prostitues à des malandrins. » Il acquiesça.
– Dites-lui que dès que je le pourrai, j’amènerai à la Cour les rois de Chypre et du Danemark et qu’il fasse en sorte, dès maintenant, de leur préparer l’accueil qu’ils méritent… Festins et joutes, belles réjouissances…
– Je le lui dirai, sire.
Et soudain, les yeux dans les yeux :
– Boucicaut m’a entretenu de cette dame de Montaigny dont vous fûtes l’époux. Je lui ai conseillé d’en référer au Pape… Il fera
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