La couronne et la tiare
procéder à l’annulation de ce mariage.
– Je regracierai le maréchal, sire. Quand dois-je partir ?
– Maintenant.
Le mot parut violent par sa soudaineté. Tristan sut maîtriser sa consternation.
– Aurai-je quelques hommes avec moi ?
– Non… Votre écuyer suffira.
– Soit.
– Maintenant, Castelreng… C’est-à-dire le temps que je scelle ce que mon tabellion vient d’écrire et qu’il vous remette la custode contenant déjà les lettres dont je vous ai parlé.
– Sire, je…
– Allez à franc étrier… Je sais que vous avez non loin de Carcassonne une famille qu’il vous serait agréable de visiter… Impossible !… Vous effectueriez un détour immense et, plutôt que de remonter sur Paris, vous descendriez de plus de cinquante lieues… Impossible, Castelreng… Boucicaut a tracé votre voie : Lyon, qu’il vous conviendra d’éviter, Dijon, Troyes… Quelque deux cents lieues en comptant large. Vous allez recevoir une bourse pour subvenir à vos dépenses. Il vous faut être rendu entre le 20 et le 25 du prochain mois… Défiez-vous des routiers, cette fois !
Debout, les chevaliers et les prélats confabulaient. Les voix prenaient plus d’ampleur et quelques rires commençaient à parsemer des conversations austères. Tristan, lui, n’osait parler. « Pourquoi moi ?… Pour me rédimer de mon échec de Brignais ? » Le roi, déjà, lui tournait le dos, croisait Mgr Anglic – qui l’évitait promptement – et s’adressait au préféré de ses hommes liges :
– Artois !… Toutes ces parlures me décident à la prudence. Il serait mauvais pour le royaume que les routiers me tendent une embûche lors de mon retour sur Paris, car je crains qu’ils ne soient au fait de toutes mes démarches. Faites en sorte de retenir des barges et de bons chevaux de trait : nous reviendrons en anaviant (305) sur le Rhône (306) . Ce n’est pas que je sois couard, vous le savez, mais il est bon de nous précautionner contre toute atteinte d’où qu’elle vienne.
– Il me semble, sire, que c’est noircir les choses…
– Non ! Non, Artois. Je n’ai point la moindre peur. Je songe uniquement au royaume qui, sans moi…
Mgr Anglic, d’une main blanche et ferme, leva la clenche de la porte. L’air sec et froid du dehors le fit frémir.
– Aures habent et non audient (307) dit-il en s’éloignant, l’échine basse.
C’était la vérité. Elle résumait l’inutilité de ce conseil. Mais tout ce qu’entreprenait Jean II n’était-il pas voué à l’inanité quand ce n’était à l’échec et à la honte ?
*
Assis sur un montoir devant l’hôtel où séjournait Jean II, Paindorge attendait, ignorant, selon son habitude, les autres écuyers réunis en un groupe disert. Il se leva et rassembla dans sa dextre les rênes d’Alcazar et de Tachebrun. Son visage morose s’éclaira tandis qu’il marchait à la rencontre de Tristan.
– Satisfait, messire ?… Non, à ce que je vois…
– Nous partons sur-le-champ.
– Pour où ?
– Paris.
– Hein ?… Vous n’avez eu ni repos ni cesse et vous êtes à peine guéri !
– Je sais… Regarde cette custod e. Il me faut la remettre au dauphin avant la fin de février.
– C’est de la folie !… Aucun pays n’est sûr… Vous a-t-on fourni quelques hommes d’armes ?
Non… Nous aurons Tiercelet… s’il y consent.
Ce n’est pas une armée.
Paindorge se courrouçait. Il ne comprenait guère cette amitié entre un prud’homme et un manant qui, de plus, avait appartenu aux Jacques. Cependant, aucun dépit n’avait provoqué son propos : il n’était ni envieux ni ombrageux et Tiercelet s’était acquis sa bienveillance.
– En selle, dit Tristan. Sitôt arrivés à Sauveterre, enfardelle mon armure et nos vêtements. Tiercelet nous procurera de quoi manger et boire… A nous trois seulement nous saurons nous défendre.
– J’ose l’espérer, messire, dit Paindorge, un pied sur l’étrier.
X
Le dauphin marchait à pas lents, étayant son menton de sa main vigoureuse, l’autre dissimulée dans l’encolure de sa houppelande de petit-gris. Son gros nez sensible aux atteintes du froid rutilait dans une face exsangue où venaient de se creuser quelques rides supplémentaires.
– L’avez-vous vu fleureter avec Jeanne de Naples ?
– Non, monseigneur. Ce dont je suis sûr, c’est qu’il n’y eut aucun courtisement entre elle et le
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