La couronne et la tiare
comme pour une prière :
– J’ai de bonnes raisons de croire en l’Archiprêtre… Et même en son frère Pierre qui est en garnison dans la cité de Bèze, au centre même de cette Bourgogne qui nous fournit de si bons vins !… Croyez que je tirerai au clair cette histoire !
Aimait-il le bon vin ? Charles de France semblait furieux. Cependant, d’un geste las, il rejeta dans son dos ce qui n’était que le petit inconvénient d’un règne encore illusoire.
– L’on m’a rapporté que Henri de Trastamare se fait fort de trouver en Espagne l’appui et le concours de Pierre IV d’Aragon. En a-t-il été question en Avignon ?
– Je ne le pense pas, monseigneur 84 .
– S’excite-t-on pour la Croisade ?
L’idée d’une guerre contre les Mahomets par malandrins interposés se présentait aussi, pour le dauphin de France, comme une dernière ressource, un dernier mais sûr remède à la gangrène des Compagnies.
– On s’excite, monseigneur. Moult dispositions sont déjà prises. Je pense que le roi vous en fait part dans une de ses lettres.
– C’est vrai ! C’est vrai !… Je la relirai quand vous serez parti… Mais dites-moi : a-t-on parlé du dessein d’Édouard III d’unir son fils Aymon, comte de Cambridge, à Marguerite de Flandre, la femme de feu Philippe de Rouvre ?
– Non… Je ne crois pas… Mais je n’étais pas toujours présent près de votre père…
– Cette union nous serait désastreuse !… Il importe que le souverain pontife s’y oppose… Comment avez-vous trouvé le Saint-Père ?
– Il me paraît un homme droit, favorable au royaume de France.
Le dauphin s’approcha d’une fenêtre d’où peut-être il apercevait Notre-Dame. Il médita longtemps tout en réchauffant sa main malade contre sa poitrine puis, les yeux clos :
– Si la Maison d’Angleterre recueillait tous les riches héritages à l’entour de la France, celle-ci serait enveloppée… Que dis-je : absorbée non sans que les parties qui l’enserrent n’eussent consumé leurs forces en des guerres longues et ruineuses… Dieu et le Pape nous préservent de ces calamités !
Tristan se voulut rassurant :
– Le Pape est bon, monseigneur. Dieu nous sera clément… Mais si ces menaces dont vous parlez sont réelles, serait-il raisonnable d’ôter des guerriers à la France pour guerroyer contre les Mahomets ?
– Vous ne comprenez rien, Castelreng !
Cette fois, inexplicablement, le dauphin se fâchait.
Nos armées resteront, les routiers s’en iront au-delà de la mer…
« Et s’ils refusent ? fut tenté de demander Tristan. Ce n’est pas vous ni votre père, monseigneur, qui exercez le pouvoir dans ce royaume. Ce sont les Compagnies, l’Archiprêtre, Guesclin, Charles le Mauvais et moult autres hommes aventureux ! »
– Où allez-vous maintenant ?
– En Normandie, monseigneur.
– Soyez précis… Nous pouvons avoir besoin de vous.
« Merdaille ! » songea Tristan.
– A Gratot, près de Coutances, chez le chevalier Ogier d’Argouges.
– Ce nom ne m’est point inconnu.
– Il fut le champion de feu votre grand-père.
Le visage ingrat et blême s’illumina. Pour le petit-fils, à coup sûr, Philippe VI valait mieux que Jean II.
– Coutances… Le Cotentin… Tout cela jouxte la Bretagne où la guerre a repris… Bien ! Bien ! Je suppose que cet Ogier d’Anglure n’a plus l’âge de guerroyer… Soyez bien aise en Normandie, Castelreng… Défiez-vous des routiers qui, me dit-on, l’infestent… Bonne chevauchée…
Le prince concluait sur une méprise : Ogier d’Argouges y devenait Ogier d’Anglure. Mais c’était là l’effet d’une imagination qui s’exaltait encore aux récits chevaleresques 85 . Tristan courba l’échiné et prit congé.
DEUXIEME PARTIE
L’ÉCUME ET LE SANG
I
– Quel bonheur d’être enfin chez-vous, messire Argouges ! s’exclama Paindorge en mettant pied à terre puis en tapotant la cuisse de Malaquin. Il nous tardait à lui et à moi d’être enfin à Gratot. Bon sang ! Toutes ces lieues m’ont paru bien longues.
– Nous avons chevauché de nuit, dit Tristan. Cela nous a permis d’éviter les mésavenances.
– Pas vrai, Tiercelet ?
Paindorge, assurément, voulait dissoudre dans son plaisir d’être rendu le singulier silence de retrouvailles qui ne correspondaient en rien à celles qu’il avait
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