La couronne et la tiare
d’objection, de demeurer près de vous quelques jours… Ne craignez rien : j’ai de quoi pourvoir aux dépenses et, sans me surhausser dans l’intérêt que vous voulez bien m’accorder, je puis vous aider de mon mieux.
Ogier d’Argouges hocha la tête sans que Tristan pût percer son regard.
– Restez céans, ami, le temps que vous voudrez. A vrai dire, je vous espérais.
C’étaient vraiment les premières paroles aimables.
– Moi aussi, dit Thierry, comme libéré d’une angoisse. Il me tardait que tu reviennes.
– Je vous en sais bon gré.
Tristan souriait sans parvenir, pourtant, à éprouver la satisfaction, voire le plaisir auquel il s’était préparé. A peine étaient-ils en présence que s’ingérait, entre ceux de Gratot et lui-même, quelque chose d’indéfinissable et de contraint qu’il ne pouvait comprendre et qui lui ôtait toute envie de converser longtemps. Il sentait le père de Luciane rongé par une douleur intérieure qui sans doute était l’angoisse de perdre une fois de plus sa fille ou, tout simplement, tenace et brûlant, le souvenir de sa défunte épouse à laquelle, selon Guillemette, Luciane ressemblait trait pour trait. Il devait exister un remède à cette douleur. De quelle espèce ? Et ne disait-on pas les Normands taciturnes ?… Il se pouvait aussi que cet homme-là eût contracté ce trait de caractère au contact des moines de Hambye. Refusant de parler de ce qui l’occupait, sans doute imaginait-il tout entretien comme une contrainte dont, promptement, il se lasserait. Ce fut pourtant lui qui rompit le silence et satisfit la curiosité de son hôte : Luciane est malade.
– Rassurez-moi, messire !… Avez-vous grand tourment pour elle ?
Les paupières du chevalier se rapprochèrent, ses lèvres également. Il eut une espèce de rire sans que son expression maussade changeât :
– N’ayez crainte !… Ce n’est qu’un mauvais rhume. Un matin, elle a voulu faire un galop sur nos terres avec Thierry. Il lui a dit de se couvrir. Elle a fait fi de ce conseil. Le soir venu, elle a dû s’aliter.
– Un mire est-il venu ?
Non, point besoin de mire. Je crois que votre présence sera le meilleur des remèdes. Elle désespérait de vous revoir.
– Pourrai-je…
– Évidemment, coupa le chevalier. Ho ! Guillemette…
La servante qui conversait avec Tiercelet s’arrêta.
– Messire Ogier ?
Soudain, elle semblait inquiète et soumise, et Tiercelet, qui l’observait, semblait s’interroger sur la nature de cette sujétion.
– Hâte-toi de mener messire Tristan au chevet de Luciane et… laisse-les seuls !
On rit, sauf Tiercelet. Tristan devina ses pensées. Il ne lui en tint pas rigueur. Au contraire. Oriabel emplissait leur cerveau. Leur cœur.
Il se hâta de suivre Guillemette tout en se reprochant le plaisir qui, dans son cœur, succédait à l’anxiété. Bon sang ! Il révérait toujours Oriabel. Hélas ! Elle était morte et pour lui, la vie continuait.
*
Guillemette poussa la porte et s’effaça.
La chambre était de si petites dimensions que le lit en occupait presque tout l’espace. Tristan ne vit rien d’autre que cette couche où se froissait, en vaguelettes d’un gris foncé, une couverture épaisse, et la jouvencelle qui, brusquement étayée sur un coude, lui tendait une main avide :
– Sans même me lever pour m’en assurer…
Elle désigna d’un mouvement de tête une étroite fenêtre et reprit dans un souffle :
– … je savais que c’était vous. Dieu est bon !
– A en juger par la mine de votre père lorsqu’il m’a parlé de vous, je vous ai imaginée en grand état de langueur.
– Il m’aime trop… Je comprends l’admiration qu’il me voue. Mais il vous aime aussi.
– En êtes-vous certaine ?
– Hum, hum !
Ce n’était pas une réponse hardie, à sa semblance. Elle rit :
– Je vous en donne l’assurance. Et si vous doutez, Thierry vous le confirmera !
Ses cheveux dénoués inondaient ses épaules, et son regard dont l’azur sombre ne s’était point terni rayonnait d’une joie qui éclipsait son mal.
Il semble, dit Tristan, que vous êtes guérie… sinon en voie de guérison.
Une toux rauque, brève mais douloureuse, l’en dissuada.
Vous voyez bien que non.
Je me repens de ce propos.
Jamais les yeux et l’esprit de Tristan ne s’étaient abîmés dans une si courte et pourtant si profonde contemplation de ce visage d’ange blessé. Lors du
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