La couronne et la tiare
bâillement contagionna Guillemette, Paindorge et Raymond qui se levèrent.
– Où vas-tu ? demanda le baron à sa fille.
– Me coucher, Père.
Tristan se leva :
– Moi aussi.
Il avait sa chambre dans la tour la plus éloignée de celle où logeait Luciane. D’un regard, elle lui signifia son regret. Une vesprée s’annonçait sans la plus petite étreinte, sans le moindre baiser.
« Bon sang ! se dit-il, je me sens parfois aussi emprisonné qu’à Montaigny où j’avais au moins des avantages ! »
II
Godart de Bonneval partit au petit matin. Seul Tiercelet qui venait de bouchonner Alcazar, commenta brièvement son passage :
– C’est un beau langagier (319) , mais il ne nous a rien dit que nous ne sachions déjà !
Au repas de midi, Luciane parut enjouée. Tristan reçut pour arrhes d’une étreinte incertaine quelques œillades prometteuses. Elle était assise entre son père, morose, et Thierry qui ne cessait de paroler soit avec Raymond soit avec Nédelec et Carbonnel, lesquels semblaient soulagés de l’absence de Goz dont c’était le tour de garde. Guillemette surveillait la pitance. Le château tout entier semblait assoupi sous une chaleur grandissante. Parfois, le plafond craquait doucement.
– Selon ce Bonneval, dit Paindorge qui assumait avec plaisir les fonctions de bouteiller et d’écuyer tranchant, la guerre va reprendre…
– A-t-elle jamais cessé, soupira Luciane. Père, pensez-vous qu’on nous assaillira ?
Tristan s’étonna de ne point sentir en elle ce souffle de confiance et d’ardente foi en l’avenir qui souvent semblait lui brûler le visage. Ogier d’Argouges parut se délivrer d’une contrainte et, regardant son beau-frère plutôt que sa fille :
– Je ne m’allierai pas à Guesclin pour combattre le Mauvais.
– Que ferez-vous ? demanda timidement la pucelle.
C’était nouveau, dans leurs rapports, cette incertitude et ce mystère.
– Je l’ignore. Nous sommes esseulés sans dépendre de quiconque et subjugués sans savoir par qui. Le régent, duc de Normandie ? Le roi ? Dieu ? Présentement, il ne se passe rien qui puisse nous inquiéter.
– Pour combien de temps cette trêve ?
– Si je le savais, Thierry, tu le saurais aussi.
Ils achevaient leurs repas quand le roulement d’un galop sur le pont-levis abaissé leur imposa le silence. Goz apparut sur le seuil du tinel :
– Encore un chevaucheur ! Il demande après messire Castelreng.
Tristan échangea un regard ébahi avec Ogier d’Argouges, Paindorge, Luciane. Il se leva :
– Qui est-ce ?
– Je ne sais. Sa cotte d’armes porte d’argent à l’aigle éployée de gueules.
– Boucicaut ! s’écria Paindorge, devançant de peu Tristan.
Ils sortirent seuls, laissant les convives à leurs commentaires.
Le messager avait entraîné son cheval à l’ombre de l’écurie. Tristan se hâta en s’interrogeant. Allait-il devoir revenir à Paris ? Boucicaut, truchement du dauphin, allait-il lui confier une mission nouvelle ?
– Messire Castelreng ?… Yvain de Sacquenville au service de Jean le Meingre.
C’était un quadragénaire de forte taille, blond sous son chaperon vermeil, le torse pris, sous sa cotte armoriée dans une brigantine elle aussi vermeille, les jambes enfoncées dans des houseaux dont le daim, à force d’absorber la poudre des chemins, avait pris une teinte grise. Il portait aux talons de gros éperons d’or. Une épée de passot pendait à sa ceinture, dans un fourreau de cuir neuf. Tristan se souvint d’avoir aperçu trois ou quatre fois cet homme lorsqu’il logeait à Vincennes.
– Messire Boucicaut vous tient en grande estime. C’est pourquoi vous me voyez à Gratot.
Que me voulez-vous, messire ? Avez-vous soif ? Faim ?
– Non. Mes hommes d’armes m’attendent de l’autre côté du pont. Nous venons de Paris…
Tristan n’osa demander : « Où vous rendez-vous ? » par souci de recevoir encore le nom de Guesclin dans l’oreille. Il vit Paindorge se diriger vers le puits et en extraire un seau d’eau qu’il versa dans l’abreuvoir afin que le cheval de Sacquenville put boire. Il s’étonna que les gens du château, derrière Ogier d’Argouges et sa fille, ne l’eussent pas suivi. Cependant, tout à coup, il se félicita de cette discrétion.
– Messire Boucicaut m’a demande de faire ce détour pour vous aviser de l’annulation de votre mariage… Le Pape y a consenti sur sa
Weitere Kostenlose Bücher