La couronne et la tiare
cents hommes. On disait qu’il avait l’œil sur le frère puîné de Charles le Mauvais, Philippe de Navarre, comte de Longueville.
– Et du roi, dit Tristan, savez-vous quelque chose ?
Le chevaucheur évoqua la Croisade. Selon lui, elle aurait lieu.
– En revanche, ajouta-t-il tout en tapotant l’encolure de son cheval dont le pas s’accourcissait, il se peut qu’une guerre ait lieu en Espagne. Le Trastamare a séduit le roi qui, dit-on, le couvre d’or (318) .
Ce dernier mot fit son effet. Chacun parut se replier sur soi-même. Tristan chercha en vain le regard de Luciane. Elle avait vu de l’or sur et à l’entour de Jeanne de Kent. Et des joyaux. Toutes sortes de richesses trouvaient chez la belle dame un écrin digne de leurs feux.
« Luciane n’est point avide d’or et de perleries… »
Nul doute qu’elle y songeait. Sans envie mais avec au tréfonds de son cœur une larme d’amertume. Il n’osa lui parler. Au vrai, il n’en avait guère envie. Rares étaient les moments où ils se trouvaient seul à seul. C’était parfois Thierry qui, de loin, les épiait. Ou bien Guillemette, innocemment, et même Ogier d’Argouges, comme gêné d’avoir cédé à sa curiosité. C’était aussi un soudoyer, tantôt Goz, tantôt Carbonnel qui se régalait la vue de la jouvencelle en ignorant son « fiancé ». Seuls Raymond et Tiercelet, entre lesquels naissait une amitié, ne se souciaient point d’eux.
Le seigneur de Gratot semblait tenir à ce que leur mariage fût comme auréolé de pureté ; sanctifié pour leur porter à tous deux bonne chance. Cette impossibilité d’être souvent et longtemps ensemble, cette obligation de restreindre les effusions permises et nécessaires entre des « promis » ne pouvaient avoir pour conséquence – tout au moins pour lui, Tristan – que d’affadir ses plus légitimes ardeurs. Se croyait-il seul avec Luciane que soudain une ombre, un pas, une toux, un bruit d’outil touchant un mur ou tombant à terre abrégeaient un baiser, une étreinte légère, un tâtonnement prometteur. Elle souriait de ces contre temps alors qu’il commençait à se morigéner d’avoir fait en sorte de les éviter. Néanmoins, quelles que fussent les embûches tendues, cette liaison étroite et familière ne cessait de s’enluminer. Luciane augmentait en séduction à mesure que diminuaient ses réticences. Il se sentait entraîné vers elle, lié à elle avec plaisir, parfois avec ravissement. Pourquoi, en certaines occasions, n’échangeaient-ils aucune phrase ? Leurs bras, leurs mains, leurs lèvres ne suppléaient-ils pas les mots ?
« Non… Elle me parle trop peu. Tiercelet l’a-t-il mise au fait de tout ce qui a précédé son entrée dans ma vie ?… Je lui en ai dit suffisamment. Ma revenue à Gratot devrait la satisfaire ! »
Il s’évertuait à ne penser qu’à elle. Cet effort lui prouvait combien les autres avaient compté. Elles ne déserteraient jamais complètement son esprit. La malicieuse Aliénor, la despotique Mathilde n’y pouvaient plus nuire à Oriabel dont il persévérait le culte. Pourquoi eût-il tenté d’oublier ou de négliger l’importance de cette liaison amoureuse ? C’était la première où il s’était donné tout entier. Cet abandon de lui-même lui avait fait entrevoir un bonheur de vivre dont il méconnaîtrait désormais l’étendue. Grâce à Oriabel, tout ce qu’il possédait de générosité en avait reçu une force, une énergie, une signification nouvelles. Les périls de Brignais les avaient appariés solidement, ardemment et hardiment jusqu’au désastre de la bataille. Comme Oriabel, Luciane éveillait en lui des émotions sincères, mais à l’inverse de celle-ci, ces émois se trouvaient rétractés par des tiers. Toujours des velléités, jamais d’assouvissements.
Lorsqu’ils furent rendus dans la cour de Gratot, elle ne s’étonna point qu’il eût chevauché seul, à l’arrière. Il avait pourtant dû, tout au long du chemin, maîtriser l’humeur d’Alcazar toujours enclin à galoper sitôt qu’il voyait des prés aux herbes souples, épaisses, verdoyantes.
Il laissa Thierry s’occuper d’Hermine, Raymond et Tiercelet empoigner les rênes des autres chevaux, sauf celles de son blanc coursier qu’il entraîna par le frein vers l’écurie. A peine avait-il fait trois pas qu’une main le retint par sa ceinture :
– Pourquoi es-tu si chagrin ? Parce que ce Bonneval est
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