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La couronne et la tiare

La couronne et la tiare

Titel: La couronne et la tiare Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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demeuré entre Père et moi ?
    Luciane le voussoyait toujours, comme si le tutoiement ressortissait au vulgaire. Que lui prenait-il tout à coup ? Elle avait un sourire figé, ascétique, et ses yeux qui semblaient taillés dans un pan de ciel démentaient la pâle gaieté qu’elle voulait exprimer.
Je ne suis pas chagrin. J’aime à être seul avec toi.
    Il fut surpris que ce toi eût sonné si mal dans sa bouche. Comme une sorte d’indécence ou de provocation. L’aimait-il trop ou pas assez ?
    –  Nous serons très bientôt unis. Père voudrait ce mariage pour Noël.
    C’était la première fois que Tristan entendait quelque chose de précis à ce sujet.
    – Crois-tu, dit-il, que lorsque nous serons mari et femme nous pourrons vivre un peu seuls ?
    Il lui sembla que Luciane ne comprenait ni cette question ni le sens caché qu’il lui avait donné. Quelle barrière s’élevait donc entre elle et lui ? Cet obstacle portait un nom : la famille. Et un autre : la mesnie
    Cherchant une diversion à leur évident mésaise, il avança derechef en flattant l’encolure d’Alcazar.
    Une rumeur confuse sortait de l’écurie où les chevaux prenaient place et, tout en l’écoutant, Tristan jeta un regard circulaire aux logis, aux murailles, aux contreforts dont l’énormité décuplait la résistance aux assauts de la nature et des éventuels ennemis. Chacune de ces pierres grises, noires, quelquefois brisées, lui parut différente de ce qu’il en connaissait. Le château tout entier, ce soir, semblait sécréter, à son égard, une sorte d’hostilité.
    – Parfois je ne vous comprends pas.
    Allons, c’était fini : Luciane revenait au vous.
    –  Il m’advient à moi aussi de ne pas vous reconnaître. Vous m’avez ignoré tout au long du chemin.
    – Père était heureux de m’avoir près de lui. Je lui ai donné ce petit contentement. Il était fier de moi…
    – … et Bonneval aussi. Je me faisais l’effet d’un écuyer !
    – Bonneval partira et vous, vous resterez.
    « Voire ! » se dit soudain Tristan.
    Son humeur se muait en courroux. Allons, il fallait bien qu’il en convînt : depuis son retour à Gratot, Luciane avait changé. Elle avait le regard et les façons d’une femme sur qui reposaient le présent et l’avenir de sa demeure. Ce n’était plus la jouvencelle hardie, quelque peu capricieuse, qu’il avait connue. Elle pesait ses mots, mesurait ses regards, restreignait ses rires, contraignait ses élans. Eut-il dû s’en féliciter ? Quand elle lui offrait sa main, il comprenait, à sa nervosité, qu’elle était sortie de cette période ambiguë qui précédait l’affranchissement de la volonté. Il lui advenait, comme maintenant, d’en éprouver de la déception.
    Nous nous verrons ce soir dans la grange.
    Le curieux mélange de satisfaction et d’incertitude animait cette physionomie dont l’expression devenait progressivement indéchiffrable. Tristan se dit : « On s’aime. » Luciane cessa de le regarder dans les yeux. « Elle me tient rigueur de ma sincérité ! » Plus il était certain de leur mutuelle attirance, plus l’avenir à Gratot lui paraissait précaire. La curiosité sinon la surveillance dont il était l’objet, cette tutelle ou franche ou sournoise, mais en tout cas pesante exercée sur sa personne non seulement par ceux de Gratot, mais par Paindorge et Tiercelet, égratignait sa patience. Il ne lui serait sans doute jamais venu à l’esprit, s’il avait eu une fille, qu’elle put courir le moindre danger d’être dépucelée par son fiancé, même si leurs tête-à-tête s’étaient parfois prolongés dans une solitude propice à des embrassements. Et puis quoi ? Se confondre en un seul corps, une seule flamme, se pâmer en un seul vertige n’était-ce pas céder aux lois de l’amour et de la nature ?
    Luciane partit sans un mot, dans un onduleux mouvement des hanches. Malgré l’opacité de la tiretaine qui la couvrait, chaque pas révélait le plein de ses formes : le soleil, lui au moins, se montrait impudique !
    *
    La veillée fut longue, animée par Bonneval et Richard Goz qui, de soudoyer, semblait vouloir s’élever, dans l’estime du baron, à la fonction de capitaine. Thierry devait l’avoir en détestation. Tiercelet l’ignorait. Luciane prêtait parfois l’oreille à ses propos – ce dont il tirait fierté.
    Quand le feu s’éteignit dans l’âtre, la jouvencelle se tapota la bouche. Son

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