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La couronne et la tiare

La couronne et la tiare

Titel: La couronne et la tiare Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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prie de lâcher mon pourpoint !
    La main osseuse, nerveuse, qui avait empoigné le vêtement à l’endroit du cœur – comme pour l’extirper de la poitrine – retomba, inerte, et Tristan dévisagea enfin le seigneur de Gratot. Il ne le reconnut pas. Une sueur qui ne devait rien à la touffeur de l’air mouillait sa face convulsée. Ses yeux larmoyaient. Un frémissement discontinu, dû à un souffle précipité, donnait à ses lèvres pâles une vie désordonnée. Ce visage penché n’était pas celui que l’on pouvait espérer d’un futur beau-père : il appartenait à un ennemi.
    – Messire, contenez cette fureur. Je ne l’ai point méritée.
    Tristan refusait de s’indigner. Sa propre colère l’ennuyait sans que pourtant il la trouvât indue.
    – Goz m’a dit que vous étiez marié.
    – Comment sait-il cela ?
    – Il se trouvait dans l’écurie pendant que vous vous entreteniez avec ce visiteur.
    Allons bon ! Le soudoyer présomptueux s’était fait dénonciateur pour complaire à son maître et en obtenir quelque avantage.
    – Je ne suis pas marié.
    – Vous l’étiez. Ne jouez pas sur les mots, je vous prie.
    – Est-ce un crime que d’avoir été marié ? Quel reproche ai-je à me faire ?
    Ce ne serait pas un orage à en juger par les premières bourrasques, mais une effoudre (320) . Il fallait temporiser. Comment ?
    –  Bon sang, messire ! Allez-vous me jeter l’anathème parce que j’ai vécu, avant de vous connaître tous, une existence qui ne vous appartient pas ?
    – Non… Vous eussiez dû m’en parler.
    – J’attendais un moment favorable.
    – Cela eût pu durer jusqu’au jour où j’aurais conduit ma fille à l’autel.
    – Je ne suis point couard, messire, pour différer si longuement un dessein. Je m’apprêtais à vous entretenir de mon passé d’autant plus aisément que Sacquenville venait de me permettre de rompre définitivement avec lui.
    Comment, avec quels mots rassurer ce furibond ? Comment lui rendre sa sérénité ? Le souhaitait-il seulement ? Non ! Sa fille lui appartenait. Sans doute l’avait-il déjà imaginée nue, besognée par ce Castelreng qui allait la lui prendre et régner sur son corps comme sur son esprit. Ce rival, cet imposteur la ferait gémir d’un plaisir que peut-être il n’avait jamais dispensé à sa défunte épouse.
    – Vous me connaissez mal, messire.
    – Oh ! Je m’en aperçois.
    Tristan mesurait la détresse de ce seigneur devenu quasiment un moine et restitué à la vie, à la paternité, justement par son entremise. Deux sentiments complémentaires s’étaient brusquement partagé son cœur : l’un ardent, étincelant : la fierté paternelle, l’autre ténébreux et complexe : une sorte de tendresse et d’admiration usurpées à celles de la mère absente. Il comprenait cet égoïsme d’autant plus passionné qu’Argouges avait été de longues années séparé de Luciane, privé du souci de la protéger, frustré du plaisir de la voir grandir. En retrouvant son enfant dans l’éclat de sa juvénilité, sans doute avait-il cru revoir son épouse à l’époque de leurs primes amours. Mais Luciane diffé rait de Blandine. Elle était un peu ou beaucoup de lui-même. Était-il jaloux d’un bonheur qu’il ne pourrait jamais lui donner ? C’était là, semblait-il, toute l’affaire. Blandine eut admis ce mariage avec un horzain (321) parce que toute mère entendait que sa fille fut heureuse et que le bonheur, pour une femme, se concevait difficilement sans quelques loisirs accordés aux sens. Cet homme-là ne voulait pas que sa fille appartînt à un autre. Il s’insurgeait contre une réalité dont pourtant il avait usé et peut-être abusé. Qu’avait-il à s’ériger en procureur ? A jouer au pharisien ?
    – Messire, essayez donc de demeurer serein. J’ai été marié contre ma volonté. J’ai fait demander au Pape, lorsque j’étais en Avignon, et ce par l’entremise de Jean le Meingre, l’annulation de ce mariage qui ne fut en réalité, qu’une espèce de servitude… Pour tout vous dire : j’y fus contraint sous peine de mort.
    –  Pourquoi cette annulation ?… Goz m’a dit que vous avez occis votre femme.
    – Et vous plégez (322) ce malebouche ? Faut-il que je vous en sache bon gré ?
    Le persiflage, ici, semblait préférable à une dénégation outragée. Ce chien couchant d’Avranchais avait-il tenu ses propos outrageux en présence de Luciane ?

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