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La croix de perdition

La croix de perdition

Titel: La croix de perdition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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imprudence !
    – Elle est démontée, on la dirait enragée, renchérit Marie-Lys. Permettez que nous vous accompagnions.
    – Non pas. Si j'avais besoin de votre aide, je vous appellerai. Elle ne peut faire aucun mal à sa petite sœur Élodie. Elle l'a étouffée par amour. Elle a perdu l'esprit à cause de cet amour.
    Un éphémère désespoir envahit Marie-Lys lorsqu'elle songea que jamais elle ne parviendrait à égaler l'intelligence, l'abnégation et la compassion de cette jeune fille qui dirigeait leurs vies. Elle s'y appliquait, pourtant, de tous ses efforts, soignant sans relâche, accompagnant les agonisantes de toute sa pitié, de toute sa science.
    Lorsque Plaisance déverrouilla l'épaisse porte qui protégeait madame de Balencourt du reste du monde et surtout d'elle-même, l'odeur qu'elle connaissait maintenant si bien la prit à la gorge. Elle songea que jamais elle ne parviendrait à oublier ces remugles de déchéance humaine, mélange de sueur, d'odeurs d'excréments, d'urine et lourds relents de peur abjecte. L'odeur de la peur lui était devenue familière, telle une obstinée compagne.
    Le visage convulsé de terreur, grelottante de démence, le corps arqué en dépit des lanières de cuir qui la maintenaient couchée dans son lit, Mélisende de Balencourt hurlait sans discontinuer, reprenant à peine son souffle entre deux cris. Pas des cris, de sauvages appels. À l'aide, à la délivrance, peut-être. Plaisance pria, appelant de toutes ses forces le basculement de son esprit, celui qui lui faisait oublier la folie féroce de cette femme qu'elle n'avait jamais aimée, celui qui lui permettait de ne voir cette créature humaine que comme un être souffrant à consoler, à apaiser, à réconforter. Enfin le basculement. L'odeur disparut.
    – Mélisende ? C'est Élodie.
    Aussitôt, le cri mourut. Aussitôt, un sourire de bonheur détendit le petit visage émacié et gris.
    – Ah, ma chérie… tu ne venais pas. J'ai eu si peur. Pour toi. Mon ange… s'il t'arrivait quelque chose de fâcheux, je ne me le pardonnerais pas. Un baiser, petite sœur, donne-moi un baiser. Je ne sais pourquoi ces sottes m'attachent de la sorte. Ne croirait-on pas un animal cruel ? Elles ne sont pourtant pas mauvaises. Juste sottes, si sottes.
    – C'est afin que tu ne te blesses pas, ma chérie, murmura Plaisance en s'approchant du petit lit trempé d'urine.
    – Ces liens me tranchent les chairs. Ne peux-tu les enlever ou, à tout le moins, les desserrer ?
    Plaisance s'assit sur le lit. Elle frôla de ses lèvres le front fiévreux, la peau moite et pourtant aussi sèche qu'un parchemin. Une phrase lui revint en mémoire : « Dieu marche à tes côtés, ma sœur, parce que tu ne redoutes rien de ce qui vient de Lui. » Lequel des contrefaits l'avait prononcée ? Elle l'ignorait. Mélisende, elle aussi, venait de Dieu. Elle défit les entraves qui retenaient ses poignets, ses chevilles et ses cuisses. Le corps décharné se redressa avec une vivacité surprenante. Madame de Balencourt serra Élodie contre elle, bafouillant :
    – Ma chérie, ma douce chérie… Dieu m'a distinguée puisqu'Il m'a donné un ange comme sœur.
    Soudain l'étreinte se resserra en étau, au point de faire gémir Plaisance. Pourtant, elle ne se débattit pas. Pourtant, elle attendit, malgré l'essoufflement qui la gagnait.
    D'une voix grave, si heurtée que l'abbesse eut peine à la reconnaître, Mélisende murmura à son oreille :
    – Pars, mon ange. Pars aussi prestement que tu le puis. Fuis cet endroit. Il vient, il est à nos portes. Je le sens. Il pue telle une charogne. Ne t'inquiète pas de moi, fuis. Il en est encore temps. Fuis, te dis-je ! Il va déferler sous peu. Rien ne l'arrêtera. Je le connais. Je le repousse depuis des lustres. (Elle éclata de rire, la salive dévalant de la commissure de ses lèvres, et feula :) Sale engeance ! Il ne peut plus rien contre moi. Il va s'attaquer à toi, pour me punir. Mais je te protégerai. Toujours.
    Plaisance eut une effarante certitude. Sous la logorrhée extravagante de cette insensée se cachait une implacable vérité.
    – Qui ? Qui « il », ma chérie ? Qui voudrait me faire du mal pour se venger de ta résistance ?
    – Lui, le mal ! Fuis, mon ange. N'aie crainte de me laisser. Je te l'assure : il ne peut rien contre moi. Te savoir en sécurité me donne toutes les forces.
    Résistant à l'envie de se lever, de se ruer hors de cette chambre,

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