La croix de perdition
bouteille. Y se planque dans les caves pour téter au goulot. Y avait qu'à attendre qu'y s'écroule en ronflant comme un sonneur et s'faufiler par le soupirail pour lui piquer sa clef. Y a pas qu'des inconvénients à être nain, conclut-il en se redressant de toute sa petite taille. Un d'vous autres, les grands, aurait jamais pu se glisser entre les barreaux !
– Pour sûr, approuva sa sœur. C'est comme la maraude. Plus t'es petit, mieux tu peux faucher. C'est comme ça qu'on a si bien pourvu le nid de not'princesse, déclara-t-elle fièrement.
– Tout de même, protesta faiblement Évrard. Ce n'est pas très honorable de voler l'abbesse qui nous a accueillis.
– Oh, ça va, l'curaillon ! lui lança Sidonie. Comment qu'tu voulais qu'on s'débrouille ? Qu'on lui demande l'autorisation de faire entrer Claire ? Tu sais bien qu'elle les terrorise, encore plus qu'Urdin avec tous ses poils de loup ou toi avec tes doigts de poulpe. Nous encore, Éloi et moi, on en fait marrer certains. On est grotesques à leurs yeux, répugnants mais pas effrayants. Toutefois, vous… Bref, on n'avait pas d'aut'moyen pour mettre Claire à l'abri de ce qui lui fait du mal.
– Je le sais, admit Évrard.
– Je vous cause tant de soucis, regretta la jeune fille qu'Urdin déposa avec délicatesse au sol dès qu'Éloi eut refermé la porte des caves derrière eux.
– Cesse de dire des âneries, répondit le nain. J'trouve ça plutôt drôle et puis y a pas mort d'homme. C'est juste des p'tites rapines.
– Y a eu mort d'homme, rappela Urdin en faisant allusion à leur montreur, la face défoncée par une crémaillère.
– C'tait pas un homme, c'tait une mauvaise verrue, rectifia Sidonie.
Éloi récupéra la torche qu'il avait dissimulée la veille entre deux tonneaux. Il les précéda dans l'enfilade de salles de taille modeste qui descendaient en pente douce en obliquant sur la droite. Une odeur aigrelette de vin les environnait, mêlée de celle, plus lourde et métallique, des tonneaux et de la terre battue du sol. Les fûts de chêne, les tas de bouteilles vides se raréfièrent au fur et à mesure de leur progression. Au fond de la dernière salle creusée sous les jardins du cloître Saint-Joseph, une rébarbative porte renforcée de traverses cloutées. Éloi produisit une autre clef en indiquant :
– Y en a qu'une et j'l'ai fauchée au cellier pendant qu'y cuvait ses gorgeons.
Pendant qu'il déverrouillait la lourde porte, Évrard s'inquiéta :
– Il peut en faire meuler une nouvelle.
– Ouais, mais sans le modèle, ça lui prendra du temps et j'te rappelle que c'est moi qui m'occupe de ça, sur ordre de l'abbesse. On sera donc prévenus. Et n'oublie pas qu'personne met un pied dans cette salle. D'ailleurs, c'est pas là qu'on s'arrête, précisa-t-il avec une mimique tout à la fois satisfaite et mystérieuse.
Ils pénétrèrent dans la petite salle basse. D'épais relents de moisissure les saisirent à la gorge. Un monceau de douves et de cercles, de tonneaux éventrés achevaient de pourrir ou de rouiller contre le mur du fond.
Éloi s'en approcha en racontant :
– C'est not'surprise, à Sidonie et à moi. Une bonne surprise, une fois est pas d'coutume. En fait, c't'un signe, que j'vous dis ! C't'un signe qu'on fait bien. L'cellier m'a demandé de balancer les planches trop pourries, de mettre un peu d'ordre quoi. C'est en m'penchant que j'ai senti l'air. Y avait pas de raison, vu qu'y a aucune ouverture et qu'on est sous terre…
Tout en parlant, il déplaça le tas de planches incurvées, souleva un tonneau poussé contre le mur et Évrard se fit la même réflexion pour la millième fois : le nain était d'une force peu commune. Éloi désigna d'un geste théâtral une sorte de long soupirail bas, creusé au ras du sol.
– J'm'ai dit comme ça, mon gars Éloi, pourquoi qu'y a un soupirail vu que normalement, on est entouré par la terre ? Alors, j'ai scié les barreaux, déclara-t-il ravi en tirant sur les épaisses barres de métal qui cédèrent sans grande résistance. Et puis, j'suis passé de l'autre côté. Et là, j'ai fait une sacrée découverte. Y a une petite salle en rotonde, bien sèche. J'avais pas trop le temps d'explorer, mais j'suis sûr qu'y a une autre sortie ailleurs. J'vais l'vérifier. On pourra faire sortir Claire à l'aut'bout en cas de danger d'ce côté. Bah, ça m'étonnerait qu'on nous inquiète, mais mieux vaut prévoir. En tout cas, j'suis certain
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