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La croix de perdition

La croix de perdition

Titel: La croix de perdition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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jouissait d'aucune des supériorités animales. Ainsi, il ne flaira pas l'approche de celui qu'il refusait d'appeler son maître. Tout juste entendit-il le geignement de la neige écrasée sous des pas. La main d'Urdin remonta vers le couteau à dépecer qu'il portait glissé sous la ceinture de son bliaud 1 .
    Arnaud Amalric, seulement vêtu d'un blanchet 2 de lainage noir sous une jaque, noire elle aussi, s'avança sans hâte vers Urdin. D'épouvantables images défilèrent dans son esprit. La boucherie de Béziers. Des amas de cadavres sanglants, grouillant de mouches. Des flots de sang. Des gorges tranchées, des torses hérissés de pals. Ce jour-là, une fois revenu sous sa tente de campagne, lui, Arnaud Amalric, avait juré devant le Christ d'argent ensanglanté qu'il ne torturerait plus. D'une voix paisible et basse, il s'enquit :
    – Es-tu prêt, l'homme ?
    – Si fait, chuchota Urdin.
    – Alors, fais ton office. Mais avant cela, es-tu parvenu à t'approcher de ma très chère Anne ?
    – Nan, admit Urdin. La seule Anne du noviciat a rien d'commun avec la description qu'vous m'avez faite. C't'un p'tit tonneau qui louche.
    Arnaud Amalric serra les lèvres de déplaisir et murmura comme pour lui-même :
    – Et pourtant… je suis certain qu'elle est aux Clairets. Arrivée depuis peu, donc admise au noviciat. (Il réfléchit et ajouta :) Sous un autre nom, alors. Fie-toi au portrait que je t'en ai brossé. Oublie son prénom. Méfie-toi, elle est redoutable, je te l'ai dit. Tue-la vite, par surprise. Ne lui laisse surtout pas le temps de réagir, elle ne ferait pas de quartier. Comme moi, elle est impitoyable. Contrairement à moi, elle se repaît de la souffrance et de la mort.
    – L'marché tient toujours, hein ?
    – J'honore toujours mes promesses. Bonnes ou mauvaises, répondit l'homme en noir. (Il ferma les yeux sur un sourire presque tendre avant de préciser :) La jeune fille que tu protèges vivra. Toutefois, l'obscurité, ou du moins la pénombre, demeurera son domaine puisqu'il est le mien. Pour l'instant. Jusqu'à ce que j'ai enfin retrouvé… ce qui me fut dérobé il y a bien longtemps.
    – Ça m'va. J'm'habituerai aux ombres. Pour ce que me vaut la lumière ! J'grimpe d'abord et j'arrime le grappin. Pas envie que quelqu'un nous entende. J'vous lance ensuite la corde.
    Arnaud Amalric retira ses gants de cheval de fin cuir noir. Urdin remarqua la large bague d'onyx noir qu'il portait à l'auriculaire.
    – Le mur ne m'a pas l'air très irrégulier. Ton ascension ne sera pas aisée, remarqua l'homme en noir.
    – J'suis animal de foire. J'peux grimper n'importe où.
    Urdin leva un visage déjà recouvert d'un duvet soyeux qu'il raserait sitôt rentré aux Clairets et reprit :
    – La lune est pleine. Va falloir longer les murs. Toutefois, à part quelques serviteurs laïcs de garde ou d'corvée, doit pas y avoir beaucoup de chalands au-dehors par c'temps.
    – Les cellules sont sous les caves, précisa Arnaud comme Urdin tâtonnait à la recherche de ses premières prises.
    L'homme-loup escalada le mur avec une stupéfiante aisance. Claire allait vivre. Pour elle, pour la sauver, il avait toute la puissance du monde. Au fond, peu lui importait qui était au juste cet homme. Le diable, peut-être ? Si Urdin l'avait cru lors de leur première rencontre, tel n'était plus le cas. Le diable n'aurait pas eu besoin de son aide. Et quand bien même ? Après tout, Dieu refusait de guérir Claire, Il lui avait infligé cette injuste et monstrueuse punition.
    Parvenu au faîte du mur, Urdin s'aplatit à califourchon. Il vérifia que les alentours étaient déserts et ficha deux des crocs du grappin dans le mortier qui maintenait les blocs de pierre.
    En un instant, Arnaud Amalric l'avait rejoint. Il ne semblait pas essoufflé par l'effort. Ils descendirent l'un derrière l'autre et longèrent le mur d'enceinte sans un bruit. Ils contournèrent les écuries puis le parloir et parvinrent devant la lourde porte des caves sans avoir croisé âme qui vive.
    Urdin extirpa de sa bougette une longue tige d'épais métal, terminée d'un bec arrondi, en commentant à voix basse :
    – Aucune porte ne m'résiste avec ça. J'l'ai façonné peu à peu. C'est mon secret. J'en aurai besoin pour nourrir Claire. Après.
    Il crocheta la serrure sans effort.
    Les deux hommes s'engouffrèrent dans une petite salle qui sentait le vin, le cidre, la cire à bouchon et le bois imbibé de tanin. Urdin

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