La dame de Montsalvy
solutions extrêmes.
— Auquel cas vous me couperez la tête avec tout le respect qui m'est dû ? Alors, où irai-je ?
— Mais... chez vous ! Votre maison vous appartient toujours et elle a été soigneusement entretenue par ordre de Monseigneur... ce qui, vous l'avouerez, est une parfaite preuve d'indifférence. Vous y aurez toutes vos aises, mais, bien entendu vous y demeurerez sous une étroite surveillance. Je vais d'ailleurs avoir l'honneur de vous y conduire moi-même et, puisque vous étiez prête à partir, je pense qu'il n'y a aucune raison de différer plus longtemps. Quant à vous, jeune homme, ajouta-t-il en se tournant vers Gauthier, je veux bien oublier votre... coup de sang de tout à l'heure car, à tout prendre, vous n'avez fait que votre devoir de bon serviteur mais je vais m'assurer...
— Ah non ! protesta Catherine. Vous n'allez pas me prendre mes serviteurs ? Je veux bien être votre prisonnière ; je veux bien risquer ma vie entre vos mains et j'essayerai de prendre mon mal en patience mais j'entends garder ceux qui me sont dévoués. Or, je n'ai plus ici que deux amis : mon écuyer et mon page : laissez-les-moi !
Van de Walle s'inclina.
— Soit ! Permettez-moi cependant de corriger vos paroles, dame Catherine. Vous avez ici bien plus d'amis que vous n'imaginez et vous aurez toute la ville si, grâce à vous, nous retrouvons commerce fructueux, paix et privilèges...
Il semblait croire à ce qu'il disait. Avec un haussement d'épaules agacé, Catherine s'en alla prendre son manteau posé sur un coffre et le jeta sur ses épaules. Curieusement, elle n'éprouvait plus aucune révolte car elle voyait dans ce qui lui arrivait le signe indiscutable du destin, la main de Dieu que son faux pèlerinage avait offensé. Elle connaissait trop Philippe pour s'illusionner, si peu que ce soit, sur son sort : jamais, il ne confondait la politique et ses sentiments. Jamais non plus, et quel que puisse être l'amour qu'il lui portait encore, il ne baisserait pavillon devant des bourgeois révoltés pour la garder vivante... quitte à noyer Bruges dans un bain de sang quand il aurait remis la main dessus, ce qui arriverait tôt ou tard ! Il pleurerait abondamment le trépas de la femme qu'il avait sans doute aimée le plus au monde mais il ne lèverait pas le petit doigt pour l'en sauver, tout au moins aux conditions qu'on allait lui imposer.
Persuadée qu'en gagnant sa maison d'autrefois, elle commencerait sa marche vers l'échafaud, Catherine suivit le bourgmestre. Au-dehors, en effet, un groupe important de la milice attendait, en armes et, pardessus leurs casques étincelants, la prisonnière put voir que la rue aux Laines était pleine d'une foule silencieuse, presque inerte, ce qui pour une foule flamande n'était pas de très bon augure.
Avant de passer le seuil, elle arrêta le bourgmestre.
— Encore un mot ! Selon toutes probabilités, je mourrai ici mais, après tout, c'est sans grande importance. Ce que je désire c'est qu'après ma mort il ne soit fait aucun mal à mes jeunes serviteurs et qu'on les laisse repartir librement vers leur pays. Pouvez- vous me donner cette assurance ?
Les yeux froids du bourgmestre s'attachèrent un instant au beau visage tourné vers lui, si paisible, si serein qu'une sorte d'émotion passa dans son regard devant tant de tranquille courage.
Sur mon honneur, vous avez ma parole ! Mais... j'ose espérer que, bientôt, vous pourrez vous aussi retourner vers vos domaines et votre vie habituelle, dame Catherine... et même que nous célébrerons cet événement par une grande fête ! Catherine haussa les épaules. —
Vous croyez aux miracles, messire ? Moi, j'y crois de moins en moins
! Quand vint le printemps, les blancheurs et les frimas de l'hiver devinrent grisaille et gadoue. Le froid avait cessé mais les nuages charriés par le vent de mer se mirent à déverser des torrents de pluie qui détrempèrent la terre et gonflèrent les canaux. Le dimanche de Pâques, qui était cette année-là le 31 mars, il plut tellement que l'eau envahit non seulement les caves des maisons mais encore nombre de salles du rez-de-chaussée et les Brugeois obligés de passer ce jour de fête à sauver leurs meubles de l'inondation en vinrent à penser que Dieu leur en voulait personnellement et boudèrent quelque peu les offices du jour.
Chez Catherine, ce fut un jour comme tous les autres, aussi terne, aussi morne... avec pour seule satisfaction la pensée que les
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