La dame de Montsalvy
possible.
— Où sont-ils à cette heure ?
— Au couvent des Augustins, naturellement.
Et, en quelques phrases courtes, la Grande Dame raconta ce qu'elle savait de la terrible nuit du 18.
— Nous aurions pu vous mettre à l'hôpital mais le père Cyprien m'a fait comprendre que ce pourrait être dangereux aussi bien pour vous que pour la communauté si l'une des autres malades vous reconnaissait et comme deux de nos maisonnettes sont actuellement vides nous vous avons installée dans l'une d'elles. J'espère que vous vous y trouverez bien tout le temps que vous devrez passer ici pour la période de votre convalescence et après...
Catherine tressaillit.
— Après ?... mais dès l'instant où je serai remise sur pieds je n'aurai plus aucune raison de continuer à vous encombrer. Mon intention est de rentrer chez moi.
Dans l'état actuel des choses, c'est tout à fait impossible, madame.
Notre enclos est bienheureusement à l'écart des tumultes de la ville et la reconnaissance des bienfaits que nous nous efforçons de prodiguer nous protège de ses excès. C'est un véritable havre de grâce... mais il n'empêche qu'il est enfermé dans les murailles de Bruges et que Bruges est en état de siège ou peu s'en faut...
En effet, le meurtre du bourgmestre Varssenare, de son frère et de deux autres échevins, les folies de la nuit fatale avaient déchaîné la panique. Profitant du désordre, les autres échevins et les capitaines des quartiers avaient quitté la ville avec leurs familles pour chercher refuge auprès du duc Philippe. Seul Louis Van de Walle et son fils étaient restés pour tenter de ramener un semblant d'ordre. Mais ce n'était pas facile. Affolées par la perspective du chômage et de l'écroulement du commerce les corporations et surtout la draperie, la plus puissante de toutes et la plus touchée par la cessation des importations de laine anglaise, étaient prêtes à se livrer aux pires excès sans paraître s'apercevoir de l'inquiétude que ces excès faisaient naître chez les marchands italiens, espagnols, écossais et Scandinaves qui avaient leurs comptoirs dans la ville.
Pour enrayer l'exode il avait fallu fermer les portes de la ville et les faire sévèrement garder : il était interdit de sortir sans un laissez-passer signé du bourgmestre et de deux chefs de corporations.
Van de Walle avait accueilli la requête des marchands étrangers et accepté qu'une ambassade composée de quelques-uns d'entre eux et de plusieurs des plus riches marchands brugeois se rendît à Arras, auprès du duc Philippe, pour protester de leur ardente espérance de voir la paix prochainement rétablie.
— Qu'a-t-il répondu ? demanda Catherine.
— On ne sait encore. Voilà cinq jours qu'ils sont partis, dès le lendemain de la nuit où vous êtes arrivée. Bien sûr il y a de l'espoir.
On dit que Monseigneur a déjà pardonné aux Gantois les massacres du 15; mais Gand n'a pas à réclamer de privilèges sur l'Ecluse, qui dépend de Bruges. Nul ne sait, dans ces conditions, ce que va répondre Monseigneur le Duc...
Vous voyez bien qu'il est tout à fait impossible de quitter la ville et qu'il vaut beaucoup mieux pour vous demeurer ici. Votre évasion a fait grand bruit. On a fouillé la cité pour vous retrouver, sauf ici bien sûr. Vos anciens gardiens enragent parce qu'ils vous croient partie rejoindre le Duc. Ils craignent que vous ne souffliez sur lui le feu de la vengeance et ils vous haïssent en conséquence. Essayer de sortir serait du suicide. Il en va de même pour vos serviteurs que le père Cyprien cache aux Augustins. Croyez-moi, restez avec nous quelque temps lorsque vous serez rétablie !
— Êtes-vous si sûre de toutes vos sœurs ?... La Grande Dame réfléchit un instant. Son visage
porté sur une haute stature ne montrait pas aisément ses sentiments mais Catherine put cependant y lire une perplexité, une sorte de lutte intérieure. Finalement ce fut la vérité qui l'emporta.
— Non. Qui peut se vanter de connaître réellement i le cœur des membres d'une communauté ? La plupart
de nos sœurs, les plus âgées, veuves ou sans famille, ont réellement brisé leurs liens avec le monde extérieur mais je ne saurais être absolument sûre de toutes. Je réponds entièrement, bien sûr, de dame Ursule et de dame Berthe qui se sont occupées de vous. Les autres savent seulement que cette maison abrite une grande malade.
Il suffira, une fois guérie, que vous n'en
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