La dame de Montsalvy
s'en alla porter loin sur la campagne, jusqu'aux murailles des bourgades, jusqu'aux tours des châteaux, préludant le cri énorme qui volait devant la foule éperdue.
— La peste !... Il y a la peste à Montsalvy !
Écroulée dans les bras de Catherine, au bord du chemin, ses jupes traînant dans la poussière, Gauberte sanglotait sans parvenir à s'arrêter. La terreur, le poids du jour et les difficultés de la route avec un pareil chargement, avaient eu raison de son endurance et elle hoquetait avec de longs beuglements qui en d'autres circonstances eussent peut-être fait sourire tandis que les larmes traçaient des rigoles noires sur son visage verni de chaleur. Derrière elle, empilés dans deux chariots, pêle-mêle avec les rouleaux de toile neuve, les objets de cuisine et les outils de tisserand, ses dix enfants la regardaient pleurer sans agiter un doigt, cependant qu'étendu les bras en croix dans l'herbe roussie de l'autre côté du chemin, son époux le toilier Noël Cairou haletait, écrasé par l'effort fourni. Un peu plus loin sur le sentier on voyait d'autres charrettes : celle de Martin Cairou, le frère de Noël et son associé, celles de Joseph Delmas, le chaudronnier, et de sa femme Toinette, Antoine Couderc, le maréchal- ferrant et d'autres encore. Les gens de Montsalvy, ceux d'entre les murailles, se déversaient sur Roquemaurel à la recherche de celle qu'ils considéraient toujours comme leur protectrice naturelle : Catherine.
Lorsque dans le crépuscule mauve elle les avait vus, depuis les.
chemins de ronde, s'approcher péniblement du château, pauvre cortège exténué et hagard, elle avait dégringolé l'escalier et voulu s'élancer vers eux pour les accueillir, bras ouverts, cœur ouvert mais elle s'était heurtée au pont relevé de Roquemaurel et à la puissante stature de Renaud qui lui barrait le passage.
— Que faites-vous ? avait-elle crié, pourquoi leur fermez-vous vos portes ? Ne voyez-vous pas qu'ils ont besoin d'aide ?... Il faut aller au-devant d'eux !...
Mais il n'avait pas bougé.
— En toute autre circonstance j'accueillerais la région entière avec joie mais pas cette fois ! La peste est à Montsalvy et peut-être l'apportent-ils avec eux. Je ne la ferai pas rentrer chez moi.
— Ils sont venus ici parce qu'ils ont confiance en vous.
— Pas en moi ! En vous, Catherine, en vous qui ne pouvez rien.
Songez à vos enfants. Voulez-vous les voir gonfler, noircir et mourir dans d'affreuses souffrances ?
L'image qu'il évoquait était si atroce que Catherine crut la voir. Elle appliqua ses deux mains sur ses yeux pour y échapper. Mais au-dehors des cris s'élevaient, des appels :
— Notre dame... notre dame !... Dame Catherine !
— Mon Dieu ! gémit-elle. C'est moi qu'ils appellent...
— Ils vous appelaient moins fort, l'autre soir, quand ils ont toléré que leurs portes se ferment devant vous. Vous auraient-ils épargné l'humiliation que vous réservait leur maître ? Non. Dans le danger chacun pour soi et Dieu pour tous. Restez tranquille Catherine !
Il a raison, intervint Sara. Ils n'ont rien fait quand ton époux est rentré avec cette gaupe et ses truands. Ne les écoute pas. Ils n'ont pas le droit de te demander ta vie.
— Mais ils ne me la demandent pas ! Ils me demandent seulement de les aider, de les réconforter. Et c'est Gauberte qui marche en tête, Gauberte qui m'a aidée, elle...
— À moindre frais, lança Sara impitoyable. Depuis le temps que messire Arnaud a ramené sa bande, ne me dis pas qu'il n'était pas possible de la faire fondre, cette bande. S'il n'y avait eu les enfants, crois-moi, je m'en serais chargée et les hommes seraient morts, l'un après l'autre, grâce à la bonne nourriture que je leur aurais servie. Les coups qui viennent de nulle part ça existe, tu sais ? As-tu oublié les planches de hourd que le beau-père d'Azalais avait enlevées devant toi, sur le chemin de ronde, pour te jeter au fond des fossés ? Crois-moi, s'ils avaient vraiment voulu, tes bons sujets, ils pouvaient t'aider à rentrer chez toi.
— La peur est humaine et Arnaud me semble devenu une bête fauve. Peut-être m'ont-ils évité le pire en ne l'obligeant pas à me revoir. Il demeure qu'ils ont besoin de moi et que je n'ai pas le droit de les décevoir. Si vous ne voulez pas les recevoir, Renaud, ce que je comprends, dites-moi au moins où je peux les conduire pour qu'ils trouvent un abri ? En les regardant approcher j'ai aperçu des
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