La dame de Montsalvy
s'empêcher de le ressentir elle aussi.
— Catherine ! s'écria-t-elle. Toi, ici ? Mais d'où viens-tu ?
— De Châteauvillain où notre mère est morte et où nous avons subi un siège. Mais toi, Loyse ? comment se...
L'aînée des ex-demoiselles Legoix fronça les sourcils avec un léger reniflement désapprobateur.
— Il ne faut plus m'appeler Loyse, dit-elle. Je suis la mère Agnès de Sainte-Radegonde.
Catherine réprima un sourire. Cela ressemblait bien à l'ancienne Loyse, toujours si durement repliée sur elle-même, de s'attacher aux apparences extérieures qui pouvaient lui servir de rempart !
D'ailleurs, physiquement, elle n'avait que très peu changé. Plus maigre sans doute et le teint passé du blanc pur à un ton d'ivoire délicat. Son nez qui avait toujours été un peu long tournait à la lame de couteau ; mais les yeux bien fendus avaient gardé leur joli bleu d'azur.
Tu ne voudrais tout de même pas que je t'appelle ma mère ? fit-elle avec une pointe d'ironie qui ne fut d'ailleurs pas perçue.
— Mes filles disent « mère Agnès ». Toi seule as le droit de m'appeler « ma sœur ».
— Cela va être commode ! marmotta Catherine entre ses dents tandis que Loyse considérait sans aménité excessive ses jeunes compagnons et demandait :
— Qui sont ces garçons ?
— Mon écuyer, Gauthier de Chazay, mon page Bérenger de Roquemaurel. À présent... ma sœur, m'expliqueras-tu quel est ce rustre qui, si j'ai bien vu, vient de te jeter à la porte de chez nous ?
La colère de Loyse, un instant calmée par les surprises du revoir, repartit de plus belle.
— Un suppôt de Satan ! Le maudit frère de la traînée dont notre malheureux fou d'oncle a fait sa compagne. Une gueuse immonde qui a nom...
— Je sais ! Est-ce... qu'il l'a épousée ?
— Je l'ignore car il est impossible de l'approcher. Pour savoir où nous en sommes et dans l'intention de lui faire visite, j'ai demandé à Monseigneur l'évêque une dispense et la permission de quitter quelques jours mon couvent. Mais ces gens montent une garde féroce et tu as pu voir par toi-même comment s'est achevée mon ambassade...
— En effet. Eh bien, voyons ce qu'il en sera de la mienne...
Suivie de ses deux compagnons dont les yeux brillaient d'un éclat égal à l'idée d'en découdre avec le dragon du logis, Catherine se dirigea vers le magasin. Avant d'en franchir le seuil elle avisa l'un des gamins qui continuaient à stationner dans la rue avec ce sûr instinct des badauds qui sentent si une pièce est terminée ou s'il y a encore un acte ou deux.
— Veux-tu gagner une pièce d'argent ?
— La belle question ! Qui ne voudrait, noble dame ?
Alors réponds d'abord à une question. Qui commande la garde du palais ? Est-ce toujours messire Jacques de Roussay ?
— Oui-da ! C'est bien lui.
Fouillant dans son escarcelle, Catherine en tira la pièce annoncée qu'elle mit dans la main de l'enfant.
— Trouve-le et ramène-le ici ! Dis-lui que Catherine t'envoie...
— Catherine qui ?
— Catherine suffira. Dis-lui de venir tout de suite chez maître Mathieu Gautherin et d'amener quelques archers. J'aurai sans doute besoin que l'on me prête main-forte.
— Qu'avez-vous besoin de la Garde ? protesta Gauthier indigné.
Ne sommes-nous donc plus capables de vous faire respecter ?
— Normalement, oui, encore que les dimensions de cet homme aient de quoi donner à réfléchir. Mais pour ce que je veux faire, quelques hommes d'armes seront plus convaincants.
— Et que veux-tu donc faire ? demanda Loyse inquiète.
— Voir notre oncle, de gré ou de force et, sur la mémoire de notre mère, je te jure que je ne quitterai pas cette maison sans y être parvenue !...
L'intérieur de la boutique était sombre et, en arrivant du dehors, Catherine, tout d'abord, ne vit rien mais retrouva l'odeur de drap neuf et de cire chaude qu'elle avait toujours connue. Puis ses yeux s'habituèrent, retrouvèrent le dessin des armoires murales à pentures de fer où l'on rangeait les tissus les plus précieux...
Une voix onctueuse surgit des profondeurs obscures de la boutique, du réduit où tant de fois Catherine penchée sur les gros livres reliés de parchemin, avait tenu les comptes de son oncle...
— Que puis-je présenter à Madame ? Me voilà toute à son service et j'ose affirmer que nulle part dans la ville, elle ne trouvera meilleur assortiment de draps d'Espagne, de Flandres ou de Champagne, de soies d'Orient...
La
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