La danse du loup
d’apprendre que le roi Louis avait pris, pour la deuxième fois, le chemin de la Croix et qu’il assiégeait les remparts de la citadelle de Carthage. Mais il sut aussi qu’il était tombé gravement malade.
Il avait sollicité et obtenu l’autorisation du maître de sa commanderie, de s’y rendre incontinent. Muni de ses fioles au pouvoir miraculeux, pensait-il. L’eau et le sang du Christ ne pouvaient-ils guérir ce roi qu’il sanctifiait avant qu’il ne soit canonisé ? Mieux encore que la miresse Hersent ne l’avait guéri lui-même, vingt ans plus tôt ?
Frère Joseph se sentait investi d’une mission sacrée. Le comte de Montfort, qui était fort redevable au roi Louis de les avoir sortis d’un mauvais pas, son protégé et lui lors de leur détention à Mansourah, ne put que l’encourager dans cette voie.
Par prudence, ils établirent un acte daté du jour de leur rencontre, à Tyr. Les parties présentes y apposèrent leur sceau et leur seing, précisa le père d’Aigrefeuille.
« Est-ce bien cet acte qui est aujourd’hui en votre possession, messire Foulques ? Sous quel nom le donateur apparaît-il dans cet acte, messire ?
— Sous son premier nom, Joseph Al-Hâkim , fils de Matthieu et de Marie, affirma le chevalier.
— Il apparaît sous ce nom et non pas sous le nouveau nom que venait de lui donner l’Ordre de l’Hôpital. Est-ce exact ?
— C’est juste, mon père. C’est parfaitement exact.
Votre aïeul, le comte Philippe de Montfort, le déposa aussitôt dans son coffre sans préciser à son fils Jehan le lieu où finit conservé le trésor dont le frère Joseph entendait faire don à sa mort. Le comte croyait disposer d’assez de temps avant de le lui révéler. Vous avez donc pensé, à juste titre, pouvoir recouvrer vos biens en la cité de Tyr où frère Joseph avait tenu comptoir dans le passé. Est-ce toujours exact ? Le chevalier opina du chef :
Vous anticipez mes pensées, père Louis-Jean. C’est vrai. Tout ce que vous dites est vrai. Malheureusement, j’ignorais que le comptoir était fermé. On m’avait affirmé le contraire.
Je ne vous blâme pas pour votre ignorance. Quand bien même il aurait été ouvert, les marchands qui l’auraient tenu auraient été en grande difficulté pour vous remettre le moindre sol sur des biens qui ne leur appartenaient plus. Il nous a fallu près d’un demi-siècle d’enquête et beaucoup de chance aussi pour reconstituer le fil de cet écheveau. Vous rendez-vous compte ? Votre trésor n’était plus à Tyr. Le destin et la raison en avaient décidé autrement, en l’an de grâce 1290. J’y reviendrai. »
Le chevalier ne broncha pas. Il resta coi. Il saisissait que, faute d’avoir obtenu le concours du père Louis-Jean et de tous ceux qui, par la grâce de leurs puissants réseaux de relations secrètes, y avaient œuvré, il n’aurait jamais pu récupérer le moindre sol. Il mesurait son impuissance.
Le père Louis-Jean en avait conscience. Il dut le lire dans son regard et le comprendre par son silence. Pour une fois, il ne le mortifia pas et n’enfonça pas le clou, ainsi qu’il s’était auparavant plu à le faire, avec moult délectations. Il se contenta de reprendre son récit, sans le quitter des yeux.
Le dimanche, à quinze jours des calendes de septembre, le 17 août 1270, soit deux jours après l’embarquement du père Joseph vers Thunes, un ismaélien se présenta dans la chapelle de Tyr où se trouvait le comte Philippe. Ce dernier le reconnut, et pour cause : l’homme souhaitait se convertir à la vraie Foi et l’avait prié, quelques jours plus tôt, d’accepter d’être son parrain de baptême, son compère.
Il ne se méfia pas. Il eut grand tort. Le catéchumène était en fait un Hachichiyyin, cette secte de tueurs de profession dont les Mongols avaient détruit le repaire, mais qui subsistait en Syrie.
Il planta sa dague dans le corps du seigneur de Tyr et se précipita sur Jehan de Montfort qui était agenouillé, en prière, quelques pas plus loin.
Philippe de Montfort réussit, en titubant, à atteindre le parvis de la chapelle. Il eut la force de hucher aux sergents de garde : "Par Dieu, sauvez mon fils qu’un Sarrasin veut occire !” Tous se précipitèrent dans la chapelle et embrochèrent le tueur. Jehan de Montfort était sauf. Il courut précipitamment vers son père qui agonisait.
Le comte réussit à ouvrir les yeux et
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