La danse du loup
désirs refoulés. Je m’écartai promptement, gravis l’échelle de l’écoutille à la volée et me hissai sur le pont.
Temps calme, ciel gris, une légère brise gonflait les voiles de la nef. Aussi loin que porta ma vue, je ne distinguai ni trirème à l’horizon, ni pirate barbaresque.
Je plongeai incontinent la tête dans le premier récipient qui traînait sur le pont, avant de raquer l’eau que j’avais avalée : elle était gluante et salée. Je compris pourquoi l’instant d’après en m’étalant de tout mon long, les quatre fers en l’air, le cul sur un grattoir de pont. Une histoire de savon mol. Dieu que la vie était belle !
« Père Louis-Jean, nous feriez-vous la grâce de nous exposer les circonstances qui ont présidé à la rédaction de l’acte qui fut remis au comte de Montfort et celles qui ont conduit Joseph, le chrétien maronite, à déplacer les biens qu’il avait accumulés, de la commanderie hospitalière de Tyr à celle de Chypre ? Messire Foulques a cru entrer aisément en leur possession ce jour, à Tyr, me semble-t-il ? » osai-je demander après avoir regagné la cabine du mestre-capitaine où siégeaient le père Louis-Jean et le chevalier de Montfort. En chair et en os.
Le père d’Aigrefeuille s’exécuta sans rechigner. Il prit plaisir à grabeler les articles de notre ignorance. Il est vrai que celle du chevalier était grande, la mienne encore plus. Comme la suite devait nous le prouver.
Je dus reconnaître que le père d’Aigrefeuille, aumônier général de la Pignotte, était non seulement fin négociateur, rompu à la rhétorique et doté d’une pointe de sophisme, il était aussi doté d’un remarquable esprit de synthèse. Et de solides connaissances historiques. En somme, un bon père dominicain.
Au fil de son récit, le chevalier de Montfort, que je croyais résigné, ouvrit à maintes reprises des yeux plus grands que le porche de la cathédrale Saint-Sacerdoce de Sarlat. Il apprit à connaître des faits et gestes dont ses biographes ne lui avaient pas transmis la connaissance. Mais que les librairies ecclésiastiques avaient su conserver. Et savaient transmettre, le moment venu. Par la voix de leur porte-parole.
La bibliothèque pontificale ne recelait-elle pas plus d’archives sur papyrus, de parchemins et de codex que celle d’Alexandrie ? Sans compter ceux qui étaient toujours conservés au Vatican, chez les antipapes ?
L’aumônier général, légat de notre Saint-Père pour cette mission spéciale, maîtrisait en tout cas l’histoire des pèlerinages de la Croix et celle des familles nobles ou roturières auxquelles la vie, les joies, les souffrances et le sacrifice final furent intimement liés. Il reprit son récit là où le chevalier de Montfort l’avait abandonné. Faute d’en savoir plus.
Après avoir fait fortune, Joseph Al-Hâkim se maria en l’an 1255 avec une chrétienne maronite d’origine syrienne, comme lui. Son épouse lui donna très vite deux fils et une fille.
Dix ans plus tard, elle fut terrassée par un mal incurable. Probablement le Mal noir, la pestilence. Il la pleura à chaudes larmes et décida de quitter son métier. Sa belle famille accepta d’élever ses enfants et de gérer leurs biens, qui étaient considérables, jusqu’à ce qu’ils soient en âge de tenir eux-mêmes les comptoirs dont il leur confiait la gestion.
Il pria le comte de Montfort de le recommander auprès des chevaliers hospitaliers qui résidaient en la cité de Tyr. Bien que n’étant pas gentilhomme de naissance, il fut fortifié dans sa voie pendant plus de cinq années. Il changea de nom et devint le frère Joseph Jérusalem de l’Hôpital. Le commandeur lui-même le confirma au sein de leur Ordre, le jour de l’Assomption de la Vierge Marie, jour où il reçut la cléricature.
Il était parvenu auparavant, et après des recherches acharnées, à retrouver la trace de fioles qui contenaient, selon lui, l’eau et le sang du Christ. Ces reliques auraient été recueillies par un de ses disciples le jour de sa crucifixion, lorsqu’un centurion romain lui avait percé le flanc de sa lance.
Cet inestimable élixir pouvait, s’il était administré de vivo et non post mortem , guérir tout mal déclaré incurable même par le plus savant des mires. Selon d’autres sources, les fioles ne contenaient que poisons mortels. Que les espions sarrasins versaient en l’eau des puits
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