La danse du loup
torve au chevalier de Montfort.
Ne jurez pas, messire de la Vigerie !
— Arnaud, pour une fois, accoise-toi et écoute. »
Arnaud ne comprenait rien. Et pour cause. Mais il se tut, peu disposé à renouveler son expérience d’une cale qui n’était pas aussi sèche que le nom le laissait entendre.
Or donc, à cinq jours des calendes d’avril, le 27 mars de l’an 1289, la cité de Tripoli fut prise d’assaut par les Mameluks du sultan Qualaoun, qui avait succédé à Baïbars.
Sa population tout entière fut passée au fil de l’épée. Une horrible mazelerie, un massacre épouvantable. La ville fut rasée jusqu’au sol. Des milliers de chrétiens tentèrent de se réfugier dans l’église Saint-Thomas qui se trouvait sur une petite île avoisinante.
Un chroniqueur sarrasin, Aboul Fida, rapporte que les Mameluks se ruèrent à cheval, atteignirent l’île à la nage, sabrèrent tous les hommes à grands coups de cimeterre et réduisirent les femmes et les enfants en esclavage.
Sentant l’imminence du danger, Jehan de Montfort fit embarquer son fils Onfroi et son épouse sur une galée à destination de Chypre. Il voulait ainsi mettre la mère et le fils à l’abri avec ce qui pouvait encore être sauvé de leurs biens.
Onfroi de Montfort était d’une santé robuste, à la différence de celle de sa mère qui décéda peu de temps après. Il vécut une trentaine d’années, jusqu’à ce qu’en l’an 1326, il soit atteint par une de ces terribles maladies qui sévissaient en l’île de Chypre.
Sentant sa mort prochaine et n’ayant aucun descendant (il ne s’était jamais marié), il pria un chevaucheur de remettre le document que son père lui avait transmis, à l’aîné de la branche cadette des Montfort, en Aquitaine. À charge pour eux de poursuivre des recherches qu’il n’était plus en état de mener.
« Belle présence d’esprit. Bel esprit de famille. Bien qu’il ne fût qu’un de vos cousins éloignés. C’est ainsi que votre père a reçu ce titre de propriété, messire. Et que vous avez cru pouvoir entrer en sa jouissance en la cité de Tyr. N’est-il pas ? » demanda le père Louis-Jean, sans douter de la réponse.
Le chevalier resta muet, mais acquiesça d’un signe de tête. Arnaud écarquillait les yeux. Il ne comprenait mot. Je le regardai lorsqu’un détail auquel je n’avais jamais prêté attention jusque-là me frappa : le chevalier de Montfort et Arnaud avaient les lobes de l’oreille curieusement collés à la peau du cou. Je regardai ceux du moine et pinçai les miens. Ils étaient les uns et autres bien dégagés. Étrange.
Bien des années avant le décès d’Onfroi de Montfort, la chute du royaume chrétien d’Orient s’était précipitée. Le Grand Khan de Perse, Arghun, proposa au roi de France, Philippe dit le Bel, quatrième du nom, et à tous les princes de la chrétienté, au pape lui-même, l’aide et la médiation des Mongols.
Le jeune Henri de Lusignan, roi de Chypre et de Jérusalem, dépêcha en Occident le sire Jean de Grailly, capitaine de la garnison d’Acre et connétable de France. Rien n’y fit. La flamme sacrée pour les pèlerinages de la Croix était éteinte.
Le sultan Qualaoun mourut à son tour. Son fils, Malik Al-Ashraf, n’attendait qu’un prétexte pour s’emparer des villes d’Acre et de Tyr. Un pèlerinage en provenance d’Italie le lui servit sur un plateau sanglant.
Gérard de Montréal, un chroniqueur, rapporte que ces croisés étaient venus au secours de la cité d’Acre. En vérité, ils vinrent à sa destruction car ils coururent de partout et ils passèrent au fil de l’épée tous les pauvres manants qui apportaient leurs biens à vendre, légumes, volailles, froment et autres choses, sous prétexte qu’ils étaient Sarrasins du terroir d’Acre.
Ils ruèrent de coups et occirent plusieurs Syriens qui portaient barbe et étaient de la loi de Grèce, prétendant que, pour leur barbe, ils les auraient pris pour des Sarrasins.
Les consuls de Pise et de Venise en furent atterrés. Le maître du Temple, Guillaume de Beaujeu, proposa d’exécuter publiquement quelques criminels condamnés à mort pour calmer la colère du sultan.
D’autres, parmi lesquels le commandeur des chevaliers de l’Ordre de Sainte-Marie des Teutoniques, Conrad von Feuchtwangen, le maître de l’Ordre des Hospitaliers, Jean de Villiers, le connétable de France, Jean de Grailly et de
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