La danse du loup
face à tous ces remuements.
Et si tout cela n’était qu’un rêve ? Si c’était un rêve, c’était un véritable cauchemar. J’eus soudain l’impression d’avoir déjà vécu cette scène, en d’autres lieux, en d’autres temps. Lorsque le prévôt d’armes de Sarlat, puis le sire de Castelnaud voulurent faire mainmise sur ma personne en le château de Beynac. Un an plus tôt.
Le roi ordonna d’une voix blanche et sèche :
« Gardes, mettez ces criminels hors de ma vue. Au cachot ! »
Je réalisai qu’il n’y avait point de baron de Beynac pour me protéger céans. Je me trompais. Il y avait le chevalier de Montfort. Il était devenu plus blanc qu’un poulet casher.
Il s’avança vers le roi de Chypre. Deux gardes s’interposèrent. Ils ne purent l’empêcher de rugir, tel un lion :
« Non, sire Hugues ! Ces écuyers sont sous ma protection. Je ne lèverai point ma main de dessus eux ! J’en réponds !
— De quel droit, messire Foulques ?
— Les preuves que vous rapportez contre eux n’ont point de signifiance. De simples cottes aux armes des Beynac ! N’importe qui aurait pu les dérober !
— Messire de Montfort, si tel avait été le cas, vos écuyers auraient dû signaler le vol. S’ils ne s’étaient sus coupables !
— Sire, vous savez que nous ne portons nos cottes d’armes que bien rarement en cette île. Leur disparition a pu leur échapper.
— Messire, ne portez-vous pas la vôtre, ce jour ? Alors que vos écuyers sont revêtus de simples pourpoints. Et pour cause ! La Haute Cour de notre parlement, siégeant à huis clos, jugera s’ils sont coupables du crime qui leur est reproché. Vous n’avez point d’autre droit que de vous soumettre au jugement qu’elle rendra, messire de Montfort !
— Sire, acceptez au moins d’écouter leur défense selon le droit coutumier. Au nom des usances et coutumes de notre royaume de France et du duché d’Aquitaine. Mes écuyers vous prouveront qu’ils ne sont point coupables.
— Le droit occitan n’a point valeur en nos terres d’Orient, messire de Montfort. Moi seul suis maître en ce royaume !
— Ce royaume ? Chypre, un royaume ? Ce territoire plus modeste que la comté de Pierregord ? Cette île, un royaume ? Votre emportement, Sire, montre bien que vous êtes un roi sans couronne, un roi sans terre. »
Ça me rappelait quelque chose, un roi sans terre : un certain Jean d’Angleterre ? Tout de même, le chevalier y allait un peu fort du dos de la cuiller. Mais l’heure n’était point à la saillie.
Le roi Hugues de Lusignan haussa le ton, non sans grandiloquence :
« Nous repartirons à la conquête de Jérusalem. Nous vaincrons comme Godefroi de Bouillon ! Nous prendrons la ville et bouterons les Sarrasins hors de mon royaume ! Une reconquista ! répondit-il (il était aussi roi de Jérusalem ; mais Jérusalem demeurait aux mains des Incroyants).
— Vous, Sire ? Seul ?
— Vous m’insultez, messire de Montfort.
— Je ne vous insulte point, Sire ! Portez votre regard autour de vous : ce sont vos chevaliers qui vous insultent. Ils festoient, boivent, se sodomisent les uns les autres mais ne guerroient point. Ce ne sont point là chevaliers de la Croix. De simples fantoches qui s’apitoient sur leur sort, se revêtent d’habits de soie, se pimplochent, se pavanent à la cour, le corps parfumé sans pouvoir masquer leur haleine fétide. »
En affirmant cela, Foulques de Montfort souleva un remuement digne de… digne de… je ne sais pas de quoi cet émeuvement était digne, tellement j’étais bouleversé.
Plusieurs chevaliers mirent la main sur la poignée de leur épée. Sans oser dégainer toutefois. Enfin, d’aucuns parmi eux. Parmi ceux qui portaient une épée.
« Cela suffit, messire. Je ne puis tolérer plus avant. Gardes, conduisez ces écuyers dans le cachot du donjon.
Non, sire Hugues ! Vous ne pouvez commettre telle injustice. Je demande réparation. Sire Hugues, reconnaissez-vous le droit des Croisés envers la sainte Foi, le reconnaissez-vous ? » Foulques avait repris contrôle de sa personne. Notre vie en dépendait.
« Je ne connais d’autre droit que celui que le comte de Jaffa, l’un de nos ancêtres, a codifié en ses Assises ! Chaque pays a ses coutumes et chaque individu doit y être jugé selon.
Je ne connais point vos usances, ni vos coutumes. Je refuse de m’y soumettre.
Peu importe, messire. Les
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