La danse du loup
meuble. Il était de la couleur de l’argent, lisse et brillant.
J’en demandai le prix au marchand. Vingt besants d’or ! ! ! Holà ! trop cher pour ma bourse qui ne contenait que trois écus.
« Tiens, tiens, aurais-tu à présent des goûts de luxe ? s’enquit Arnaud.
— J’ai un présent à offrir.
— Un présent ? À qui ? Ah, oui, je vois. À ta chimère. Isabeau de Guirande ! Tu es complètement fol, mon pauvre Bertrand !
— Oh ! il suffit, Arnaud. Tu fais les questions et les réponses.
— Parce que je connais les réponses, répliqua-t-il.
— Tu fais les réponses parce que tu crois tout savoir. Occupe-toi plutôt de tes drôlettes, de tes filles de cuisine ! Et ne te mêle point de mes affaires, je te prie ! »
Arnaud me tourna le dos. Je reposai la précieuse boîte. Il n’avait pas tort. J’étais fol. Fou d’amour. Mais sans un radis dans l’escarcelle.
Le dernier jour avant carême-prenant, la veille du mercredi des Cendres, ayant été prévenus de son retour par un messager, nous fûmes reçus par le trésorier de l’Ordre de l’Hôpital en sa commanderie sur la petite île de Châtel-Rouge.
Nous lui remîmes la cotte d’armes, la ceinture et l’épée du chevalier Gilles de Sainte-Croix. Il nous en remercia avec grande tristesse.
Il nous apprit qu’Hélion de Villeneuve venait de rendre son âme à Dieu. Il remettrait ces reliques à son successeur dès que le consistoire des prieurs, réuni en Langues, aurait élu le nouveau grand maître de l’Ordre, à Rhodes.
Alors que nous retenions notre souffle, contre toute attente, le trésorier ne fit aucune difficulté pour nous remettre les lettres à changer.
Il fit certes examiner avec moult attentions les sceaux et les seings qui étaient apposés sur les trois documents et nous pria d’apposer les nôtres sur un document qu’il conserva. Ce document, une sorte de reçu, attestait de la bonne fin d’une transaction dont il n’était dorénavant plus responsable.
Il proposa de remettre au père d’Aigrefeuille, en sa qualité de messager pontifical, les trois dernières reliques qui contenaient l’eau et le sang du Christ selon la légende que frère Joseph avait accréditée.
Arnaud s’en montra fort contrit. N’était-il pas le seul d’entre nous qui ne se soit vu confier la sauvegarde d’une chose précieuse ?
Comme il jouait bien du plat de la langue, il fit remarquer au père aumônier que ces fioles appartenaient au chevalier et qu’il était prêt à les conserver lui-même en sûreté. Se tournant vers le chevalier de Montfort, il lui affirma qu’il en répondait sur son honneur et sur sa vie.
Foulques coupa court à son discours en lui ordonnant d’en laisser la garde au père Louis-Jean. Ce dernier s’en saisit, remercia le chevalier, enveloppa consciencieusement les fioles dans un linge qu’on lui remit, les rangea dans sa boîte à malices et en verrouilla le couvercle.
Quel intérêt Arnaud pouvait-il avoir à conserver par-devers lui des fioles empoisonnées dont il ne saurait faire usage ?
À dater de ce jour, les événements se précipitèrent bien que nous ne sachions pas encore que nous serions cloués sur l’île de Chypre jusqu’à l’automne. Par des événements imprévisibles dont nous ne mesurions pas encore la portée.
Le soir même de la remise des lettres à changer, le chevalier de Montfort nous invita dans une taverne pour fêter la réussite de notre mission. Le père d’Aigrefeuille ne se fît pas prier. La période de jeûne commençait le lendemain. Il était temps de prendre quelques réserves avant carême-prenant.
Pour la première fois depuis que nous avions quitté la citadelle royale d’Aigues-Mortes, Foulques but du vin de la commanderie. Il n’y était point habitué.
Au troisième pichet, sa langue devint chargée. Il promit de bailler à ses deux écuyers la somme incroyable de cent vingt besants d’or chacun ! Plus d’un an de solde. C’était plus que nous ne l’avions imaginé dans nos rêves les plus fous.
Était-ce l’effet de l’alcool ? Au quatrième, il n’était plus dans la capacité d’articuler. Au cinquième godet, il s’effondra sur la table. Nous dûmes le soutenir, Arnaud et moi, et l’allonger sur le lit de sa cellule dès notre retour chez les frères qui nous avaient offert l’hospitalité.
Le lendemain, il avait la gueule de bois et le teint cireux. Mais il était
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