La dernière nuit de Claude François
d’appoint. Après avoir interprété une chanson inédite, « I Believe In Father Christmas », il prend la pose pour les photographes. Ils sont une dizaine, dont celui de Podium , Jean Lebreton – depuis des années, chacun de ses déplacements fait l’objet d’un reportage exclusif dans son journal, car il faut en permanence alimenter la curiosité, insatiable, des lecteurs.
La lumière est belle. Nette, précise, comme elle peut l’être à la montagne quand le soleil brille. Les photographes lui suggèrent d’avancer de quelques mètres, dans la neige, pour avoir plus de recul.
— Là, ne bougez plus, c’est parfait.
Ils disent des mots de photographe : encore une autre, regardez-nous, une dernière. Claude se prête volontiers à leurs demandes. Il a le sens inné de la lumière : chaque fois, il trouve lui-même la position qui permettra au soleil d’éclairer son profil droit, tout en diffusant une sorte de halo doré autour de ses cheveux.
— Un sourire, s’il vous plaît ! réclame un autre reporter.
La star triomphante ne leur offrira qu’un sourire grave, avec un soupçon de tristesse. Quelque chose d’inhabituel, presque dérangeant.
Les photographes ne s’en formalisent pas. Mais, comme il s’agit de sa dernière séance
photos, on voudra, après sa mort, y voir une image testamentaire véhiculant un dernier message. Une ultime mise au point.
Samedi soir, après l’annonce de sa mort, lorsque les photos arriveront, dans les salles de rédaction, on y décryptera un homme qui semble absent, déjà ailleurs, en train de s’échapper, comme s’il avait conscience d’être plus vulnérable que jamais, comme si le destin était déjà en train de le rattraper.
Dans quelques instants, il chantera pour la dernière fois.
Hasard ou coïncidence ? C’est « Daydreamer », la version anglaise de sa chanson préférée, « Le Mal-Aimé ».
Celle où il se livre le plus.
J’ai besoin qu’on m’aime
Mais personne ne comprend
Ce que j’espère et ce que j’attends
Qui pourrait me dire qui je suis ?
Et j’ai bien peur
Toute ma vie d’être incompris
Car je suis mal aimé…
Qu’est-ce que le fanatisme, sinon l’amour exclusif, radical, absolu, irraisonné ?
De ce point de vue, Claude François en a eu beaucoup, et cet amour, qu’il a cherché et recherché, n’hésitant pas à s’épuiser lors ses concerts, il s’en est régalé.
Pourtant, cet amour revêt pour lui des couleurs d’amertume. Car cet amour exceptionnel, que le commun des mortels ne connaît pas, ne comble pas la quête de l’amour simple auquel chacun aspire : celui d’un père et celui d’une femme.
Monaco, 1957. Poussé par son père, Claude trouve un stage d’été dans une banque.
— Un bon moyen de mettre un pied dans la place, se réjouit Aimé, qui reporte tous ses espoirs de réussite sociale sur son fils.
Mais, trois jours plus tard, il déclare forfait. Il est temps qu’il annonce à son père sa décision : il sera musicien. N’est-il pas l’un des meilleurs élèves du conservatoire de Monaco ?
— La musique ne nourrit pas son homme, réplique son père.
— Elle rapporte autant que d’être employé dans une banque. Je n’ai pas envie de travailler
comme un dingue, toute la journée, pour un salaire à peine décent.
— De petit employé, tu peux devenir directeur d’agence. Intelligent comme tu es, tu iras loin. Dans la musique, tu ne connais personne.
— Je vais connaître du monde.
— La banque, c’est la sécurité.
— Et l’ennui ! Je ne veux pas être gratte-papier derrière un guichet ! Et puis, en Égypte, tu avais une belle situation. Tu avais gravi tous les échelons. Regarde où cela t’a mené…
Aimé change alors de terrain :
— Un fils saltimbanque, ce serait une honte dans la famille. Si tu trouves du travail comme musicien, je ne te parlerai plus.
Quelques jours plus tard, un de ses copains lui dit que l’orchestre de RMC cherche un batteur. Son instrument favori. Il n’a jamais pris de cours, mais il sait lire une partition et il a le rythme dans la peau : après l’audition, le voici engagé pour 500 francs par mois. Cinq fois moins que les autres musiciens, mais, pour lui, c’est une fortune. Il pourra aider sa famille. Payer les médicaments de son père, qui ne bénéficie pas de la Sécurité sociale. Fort du cachet qu’on lui propose, il est sûr de pouvoir l’amadouer. Pourtant, en arrivant chez
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