La dernière nuit de Claude François

retenue, sa boîte de vitesses étant devenue folle.
    Un jour, la productrice d’une émission de télévision lui demande :
    — Avec qui aimerais-tu chanter en duo ?
    Sachant que Janet vient d’avoir un enfant avec lui, il répond :
    — Gilbert Bécaud.
    Manière de lui montrer qu’ils sont désormais sur un pied d’égalité.
    Il lui faudra néanmoins près de trois ans pour apprendre à aimer de nouveau. Cette fois, elle est blonde. Elle s’appelle France Gall et vient de faire une entrée fracassante dans la chanson. N’ayant pas dix-huit ans à une époque où la majorité est à vingt et un, elle s’absente en douce de chez ses parents pour le rejoindre. D’un naturel possessif, dominateur né, il lui en
fait voir de toutes les couleurs et ne tarde pas à se montrer jaloux de ses fréquentations mais aussi de son succès. Quand elle remporte le grand prix de l’Eurovision, elle l’appelle :
    — Alors, tu es content ? demande-t-elle.
    — Tu as gagné, bravo. Mais désormais, entre nous, c’est terminé.
    Entre eux, c’est l’amour vache. Elle lui a trouvé un surnom, « l’Homme impossible ». Vivant une passion « comme la foudre, zébrée d’électricité », ils iront, trois années durant, de fâcheries en réconciliations, de ruptures en retrouvailles. France n’est plus que l’ombre d’elle-même. Durant l’été 1967, elle lui annonce que c’est fini. À son tour de souffrir : il se cloître chez lui, incapable de répondre au téléphone, de peur d’entendre sa voix. Le travail sera sa béquille.
    Pour oublier sa rupture avec Janet, il avait chanté « J’y pense et puis j’oublie » et « Même si tu revenais ». Pour exorciser celle avec France Gall, il interprète « Comme d’habitude ».
    Il n’a pas son pareil pour transformer les peines de cœur en succès de vinyle.

    Un jour où Claude donne un concert à Lyon, une danseuse de la première partie locale se foule la cheville. Il l’accueille dans sa caravane et lui fait son pansement. Quelques mois plus tard, devenue mannequin, ils se retrouvent par hasard dans un studio photo. Le courant passe si bien entre eux qu’il veut la revoir, mais elle ne répond plus, ni au téléphone ni aux télégrammes. Une femme qui se refuse, il n’y a rien de tel pour attiser la flamme : un soir, il prend en chasse sa Fiat 500 avec sa Mustang et lui fait une queue-de-poisson pour l’obliger à s’arrêter et à monter dans sa voiture. Quelques jours plus tard, il l’invite au moulin et lui offre une Mini en guise de cadeau d’intronisation.
    Il n’est pas homme à aimer sereinement, mais, avec Isabelle, il ne se laisse pas embarquer dans cette passion destructrice qui a ruiné ses histoires avec Janet et France. Elle est de bonne famille, posée, douce, prévenante, rassurante, discrète – aujourd’hui, on dirait soumise. Elle est de ces femmes avec lesquelles les hommes les plus tourmentés trouvent leur équilibre.
    Très vite, Isabelle lui donne un fils, Claude Jr. L’idée ne l’a pas emballé : pour que personne ne s’aperçoive de sa grossesse, il la somme de rester au moulin. La vérité éclatera quand un secrétaire aussi rancunier que vénal vendra les photos à Ici Paris . Mais, lorsque Isabelle lui
annoncera qu’elle est de nouveau enceinte, il entrera dans une colère folle. Un enfant, passe encore, mais deux, c’est se transformer en père de famille popote et charentaises. Une idole se doit de rester entièrement disponible pour ses fans. Pour ne rien arranger, il voudrait une fille. Or, quand elle l’appelle de la clinique où elle a accouché, seule, dans la clandestinité, c’est pour lui apprendre que c’est un garçon. « Merde ! », lui répond-il.
    Il va alors commettre l’impensable – au sens strict du terme, à savoir que personne n’aurait imaginé qu’un homme puisse se livrer à pareille mise en scène. Pendant six ans, il imposera la loi du silence : personne, hormis sa famille, ne doit connaître l’existence de Marc, son second fils. Secret de star – une affaire Mazarine avant l’heure. Le gamin vit caché, enfermé, séquestré au moulin. Dès que des invités rendent visite à la star, il n’a pas le droit de sortir. On lui monte ses repas, dans sa chambre, en cachette.
    Il faudra qu’un journal s’apprête à divulguer l’information pour que, mis au parfum, il choisisse d’anticiper les révélations : le 24 juillet 1975, il dévoile à la