La dernière nuit de Claude François

adultes, mais le premier amour
vous poursuit toute votre vie : dès lors, il ne cessera d’essayer de la retrouver.
     
    À l’époque où il se produit à l’hôtel Provençal de Juan-les-Pins, il s’amourache de Vicky, une petite Anglaise aux longs cheveux blonds, issue d’une famille aisée. Physiquement, la copie conforme de Benjamine. Ils passent leurs journées ensemble, mais ses parents, des industriels collet monté, ne l’entendent pas de cette oreille : pas question que leur fille fréquente un musicien. Ils interdisent à Vicky de lui parler et se plaignent à la direction de l’hôtel : Claude garde son emploi, mais s’entend dire que « le personnel doit rester à sa place ». Ils ne sont pas du même monde. Plus tard, il en fera une chanson, « Pauvre Petite Fille riche ». Pour le moment, il en tire une règle de vie : il faut faire partie de ceux qui gagnent de l’argent et réussissent.
     
    Quelques mois plus tard, à Monaco, une grande Anglaise lui tape dans l’œil, Janet Woollacott. Il joue dans l’orchestre de Frosio, elle est danseuse pour les ballets d’Arthur Plasschaert. Elle a des jambes de gazelle, des yeux clairs, un sourire mystérieux et elle est… auburn. C’est l’exception qui confirmera la règle – en matière de couleur de cheveux car, pour le reste, leur histoire tournera court, elle aussi.

    Entre eux, tout commence par un coup de foudre. Il aime sa discrétion et ses bonnes manières so british . Dans la microsociété conventionnelle qu’est la principauté, ils se fiancent puis se marient. Lors d’un été, à Saint-Tropez, Sacha Distel conseille au jeune Claude de venir tenter sa chance à Paris. Lui hésite : sur la Côte d’Azur, tout lui réussit mais, dans la capitale, il craint de n’être qu’un parmi d’autres. Sa rage l’emporte : il remonte la nationale 7, cheveux au vent, Janet à ses côtés, mais il ne va pas tarder à déchanter. Durant ces années où toute une nouvelle génération est en train d’éclore, personne ne veut de lui. Janet reprend son job de danseuse et nourrit le ménage. Souvent ronchon, mais toujours aussi déterminé, à l’affût de la moindre occasion, Claude finit par jouer de la batterie avec les Gamblers d’Olivier Despax, au Caramel, un club près de l’Étoile. Parfois, il enregistre avec les Machucambos : c’est lui qui joue des percussions et des timbales sur « Pepito Mi Corazón ». Avec ses premiers cachets, il fait installer une douche dans le meublé qu’ils louent, à Pigalle, dans un immeuble lépreux, avec toilettes à la turque sur le palier. Son obsession de la propreté ne se satisfaisait pas du lavabo fissuré : dans la maison d’Ismaïlia, il y avait une salle d’eau par pièce. Ensuite, il décide de se faire opérer du nez. Pour les photos. Pour sa carrière.
Comment pourrait-il plaire aux autres, s’il ne se plaît pas lui-même ? Janet est contre : elle préférerait être invitée au restaurant, emmenée en week-end ou couverte de cadeaux.
    À ses yeux, l’étoile de Claude commence à pâlir. Elle aimerait se laisser griser par l’effervescence parisienne. Elle rêve d’autre chose que de cette vie sans éclat, faite de privations. Les belles promesses d’hier se transforment en rancœur. Claude flaire le danger : quand il sort, il l’enferme à double tour dans l’appartement. Il veut tout contrôler, mais plus il la chaperonne, plus elle s’éloigne de lui. Pis, elle n’a plus cette lueur d’admiration dans le regard qui l’avait poussée à tout accepter. Elle ne croit plus en lui.
    Un soir, à l’Olympia, où elle danse en première partie, les yeux de Gilbert Bécaud se posent sur elle. C’est la grande star du moment, tout lui réussit. Janet se sent revivre. Elle reprend son passeport dans le… portefeuille de Claude et rentre en Angleterre faire le point.
    Elle choisira Monsieur 100 000 volts.
    Il se sent trahi et sa fierté en prend un coup. Mais cette rupture, qu’il mettra des années à accepter, refusant longtemps le divorce, décuplera son ambition.
    — La vengeance est un plat qui se mange froid, répète-t-il.

    Il lui faut réussir. Pour prouver à Janet – dont il ne prononcera plus jamais le nom – qu’il est de la race des seigneurs.

    Quelques mois plus tard, après avoir quitté le meublé de Pigalle pour une chambre d’hôtel où sa mère l’a rejoint, tout s’accélère pour lui, comme un moteur qui s’emballe sans