La dottoressa
Abeles, la sœur de Frieda. Je lui écrivis que l’enfant ne se
portait pas bien, de toute façon, et qu’il fallait que je rentre à Vienne pour
tout raconter à mon mari. Le petit avait alors sept mois. J’avais écrit pour me
donner du courage, n’osant pas aller trouver ma mère avec l’enfant, bien que
Gigi ne vécût plus chez elle ; il habitait son propre atelier. (La Zuzzi
qui entrait dans une valise n’était plus là, mais elle était déjà remplacée par
une autre !)
J’avais écrit à Delà : « J’arrive », et de
fait je partis. Delà Abeles vint me chercher à la Südbahnhof, sur quoi nous
sommes allées directement avec le petit au Reichsanstalt, quelque part hors de
Vienne ; mais j’avais aussi Giulietta avec moi et je l’ai emmenée chez
Maman, à qui j’ai confessé que j’avais commencé par me rendre au Reichsanstalt
et par y déposer un bébé, un autre petit-fils…
Elle s’est misé dans une de ces colères ! Vraiment
terrible : « Dieu merci encore une chance que tu aies fait ça ! J’aurais
eu trop honte devant tout le monde. Ça ne peut pas continuer. Ton mari vient
ici, oui, et tous les jours. Nous prenons nos repas ensemble et tout… et voilà
que tu t’amènes encore avec un enfant de plus ! » J’ai cru que la
comédie n’en finirait jamais. Tout ça tournait très mal pour moi. Elle a dit :
« Je ne veux même pas le voir, ce moutard », et moi j’ai répondu :
« Tu n’as pas besoin de le voir, je ne voudrais même pas que tu jettes les
yeux dessus ! » Et je suis partie. L’enfant était toujours au
Reichsanstalt, où il était bien soigné ; là aussi il avait une nourrice ;
ensuite on l’a sevré pour que je puisse le reprendre avec moi.
Voilà comment les choses se sont passées avec Maman. Quant
aux parents de Gigi, naturellement ils ont dit : « Ça ne peut pas
continuer, il faut que tu demandes le divorce. Du moment quelle a un enfant d’un
autre, ça ne peut plus durer. Financièrement, ça risque d’être une catastrophe
pour les deux autres petits, sans parler de l’héritage… (En ce temps-là, ils
avaient de l’argent, c’est pourquoi.)… Il faut que tu demandes le divorce. »
Moi j’ai dit à mon mari : « Le divorce ? Très bien. Je le veux à
mes torts, puisqu’il est vrai que j’ai cet enfant d’un autre. » Et Gigi
avait beau m’avoir trompée, de son côté, j’ai tout de même insisté pour que les
choses se fassent ainsi : « Tu arranges le divorce, mais la petite
Giulietta reste avec moi. J’admets ma culpabilité, j’admets être la partie coupable,
mais j’exige de garder ma fille. » Elle avait alors entre six et sept ans,
oui, elle était dans sa septième année, et très belle.
La procédure de divorce s’est déroulée à Bâle. Par la suite,
mon fils Ludovico, devenu avocat, m’expliqua que la chose ne s’était pas faite
dans les règles, étant donné qu’on ne pouvait évidemment pas accorder la garde
d’un enfant à quelqu’un qui est reconnu entièrement coupable. Je n’ai pas eu à
aller à Bâle, les autres ont tout arrangé, et ensuite ils m’ont notifié que j’étais
divorcée et qu’en raison de ma culpabilité tout droit sur n’importe quel
héritage était nul et non avenu…
Oh ! oui, ils étaient pleins d’astuce, ces bons Suisses ;
tout ce divorce n’était au fond qu’une question d’argent, la morale n’avait
rien à y voir, et on m’a interdit de me remarier avant une année, et pour rien
au monde jamais je ne devais épouser Tutino, c’était stipulé, mais j’avais le
droit de garder Giulietta. Est-ce que ce n’est pas dégoûtant, pareil
marchandage ? Oui, et pour Giulietta j’étais censée toucher une pension
alimentaire de cent francs. En ce temps-là cent francs suisses c’était quelque
chose. Cent francs suisses par mois, c’était ce que j’étais supposée toucher, et
je n’en ai jamais vu la couleur, cela va de soi, mais c’est une autre histoire…
Je n’attendais ni ne voulais rien de ces gens.
Et puis il y a eu tout un vrai commerce avec Maman. Inutile
de le dire, elle était vexée au possible à cause de Gigi et de ce divorce, et
elle déclarait que jamais les autres n’auraient dû faire ça.
Évidemment, en ce temps-là les divorces étaient extrêmement
rares, et elle était bien d’accord sur le fait que celui-ci n’était qu’une
opération financière, ce qui la rendait très malheureuse. Elle a exigé de
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