La Fausta
surtout que les assiégés, quels qu’ils fussent, allaient cacher l’argent dans quelque réduit où il serait difficile ensuite de le trouver. Il résolut donc de pousser une pointe avec Bussi-Leclerc. Quant à Maurevert, il demeura près du duc de Guise, frémissant de joie ; il tenait enfin l’ennemi tant redouté et disait au duc :
— Monseigneur, vous m’avez promis deux cent mille livres sur le butin que vous allez faire ?
— C’est promis, Maurevert, tu les auras, foi de Guise !
— Eh bien, monseigneur, je veux vous proposer un échange : gardez les deux cent mille livres et donnez-moi l’homme qui vient de vous parler avec tant d’insolence.
— Je te comprends, Maurevert, dit Guise d’une voix assombrie, tu hais cet homme. Mais moi aussi, je le hais. Et nous avons un vieux compte à régler. Cela date de l’hôtel Coligny…
— Moi, c’est plus vieux encore, monseigneur.
— Bon ! Eh bien, tu garderas tes deux cent mille livres, et moi je garde l’homme. Seulement, si tu veux te contenter de cent mille livres, ce qui est encore un joli denier, tu auras permission d’assister à l’entretien que j’aurai avec le Pardaillan dès que nous l’aurons pris dans son terrier.
— Peste, monseigneur ! Vous voulez me faire payer cent mille livres le droit d’assister à ce spectacle !… Ce sera donc bien beau !
— Je te le jure ! gronda Guise.
— C’est égal, c’est un peu cher, dit Maurevert avec une joie furieuse.
— C’est cher mais sache que ledit entretien aura lieu dans la chambre des questions du grand Châtelet…
— Ah ! ah !… Eh bien, cela vaut en effet cent mille livres ! J’accepte, monseigneur !
— Je te donnerai le cadavre par-dessus le marché, dit Guise avec un grincement qui voulait être un éclat de rire.
— Alors, monseigneur, dit Maurevert livide de joie, je paye deux cent mille livres !…
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Chapitre 20 L’ATTAQUE DU MOULIN
P endant que Guise attendait les mille hommes de renfort demandés et échangeait avec Maurevert ces macabres facéties, Maineville et Bussi-Leclerc s’approchaient en rampant du moulin, résolus qu’ils étaient à connaître le nombre exact des assiégés. C’étaient deux hardis compagnons, faisant bon marché de leur vie, et jusqu’alors, ils avaient passé à travers les dangers des escarmouches et des sièges, avec l’insolent bonheur qui s’attache aux joueurs audacieux.
Tout était silencieux et obscur dans le moulin. Mais dans le logis, une fenêtre était éclairée, comme un œil narquois fixé sur les assiégeants. Ce fut donc vers l’échelle du moulin que les deux hommes se dirigèrent ; bientôt, ils eurent atteint l’étage où se trouvait la meule.
En quelques minutes, ils eurent parcouru le moulin et furent convaincus qu’il ne s’y trouvait personne. Il était évident que toute la défense s’était concentrée dans le logis du meunier. Ils allaient donc redescendre, lorsque Maineville aperçut un léger rai de lumière au pied d’un mur : il saisit Bussi-Leclerc par le bras et lui souffla à l’oreille :
— Il y a là une porte de communication…
Ils s’approchèrent de ce rayon de lumière pâle, dans l’intention non pas d’ouvrir, mais d’écouter. Mais en touchant la porte, Bussi-Leclerc s’aperçut qu’elle était simplement poussée. Avec des précautions infinies, il l’attira à lui : la porte s’ouvrit sans bruit… les deux hommes s’accroupirent sur le haut de l’escalier et purent alors dominer la salle sur laquelle ils jetèrent un regard plein de curiosité. Et alors ils tressaillirent d’étonnement. Un étrange spectacle s’offrit à leurs yeux :
Assis à une table, le chevalier de Pardaillan et le duc d’Angoulême dévoraient à belles dents un superbe jambon, tandis qu’un pâté attendait son tour et que Picouic versait à boire !… Le long d’un mur étaient rangées en bon ordre une douzaine d’arquebuses toutes chargées. Sur une table voisine s’alignaient plusieurs pistolets. Tout en mangeant et en buvant, Pardaillan et Charles continuaient une conversation déjà commencée.
— Dès demain matin, disait le chevalier, nous irons visiter ce couvent. Il faudra bien que la bohémienne parle, et nous finirons par savoir ce qu’est devenue votre jolie petite Violette… Allons, soyez gai, mon prince… Monsieur Picouic, versez-nous de ce flacon que vous avez mis de côté pour vous… je vous ai bien vu…
— Oh !
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