La Fausta
Pardaillan, il est temps en effet de nous en aller ; mais je crois bien que pour le moment, c’est plus facile à dire qu’à faire.
— Cependant, observa doucement Charles, nous devions ce matin aller voir la bohémienne ; vous me l’avez promis, Pardaillan. Il faut nous en aller.
Le chevalier regarda le jeune duc avec admiration et non sans remords.
— Pauvre petit ! murmura-t-il.
— Trop tard ! reprit Charles. Trop tard ! Les voici qui montent de toutes parts !
— Bah ! nous nous en irons quand même, fit Pardaillan. Mais quels cris assourdissants !… Holà, maître Picouic, au travail ! Chargez sur votre dos M. de Maineville, moi je prends M. Bussi-Leclerc, qui est le plus lourd et qui sera flatté de m’avoir pour monture…
Des clameurs terribles s’élevaient maintenant de l’armée assiégeante qui se mettait en mouvement. Et cela formait autour de la butte comme un vaste cercle, qui montait, pareil à une marée d’acier, au milieu de laquelle le moulin n’était plus qu’une île. A mi-côte, les assiégeants s’arrêtèrent. Ils attendaient la décharge des assiégés et s’étonnaient de leur silence.
— Ils préparent quelque méchant coup, dit Guise à Maurevert. Mais où est Maineville ? Où est Bussi ?…
— Ils auront choisi quelque poste de combat, à leur idée.
Mais leurs voix furent couvertes par les cris des ligueurs qui piétinaient, tendaient le poing au moulin, vociféraient toutes les insultes qui avaient cours contre les parpaillots. Au loin, la foule augmentait. Il y avait du monde sur les remparts. Dans Paris, des cloches se mettaient à sonner le tocsin. Dans toutes les maisons, les bourgeois endossaient en hâte leurs casaques et leurs cottes de fer. Les capitaines de quartier couraient pour rassembler leurs hommes. Là-bas, autour de la butte, l’armée rugissait, indécise, attendant pour se ruer à l’assaut que l’ennemi eût fait feu le premier, ce qui était non pas de la générosité, mais simple tactique pour monter en sûreté, à cause du temps qu’il fallait pour recharger les arquebuses.
Et pendant ce temps, celui qui était la cause de tout ce tumulte, enfermé dans le moulin avec ses deux compagnons, se préparait froidement à quelque défense désespérée, puisqu’il lui était prouvé que toute issue était fermée. Picouic était de mauvaise humeur et regrettait de n’avoir pas suivi Croasse. Charles, avec son charmant sourire, invoquait le nom de Violetta et murmurait :
— Puisqu’elle est perdue pour moi, la vie est sans charme : autant mourir ici qu’ailleurs, et maintenant que dans vingt ans…
— Mourir, mourir ! grommela Pardaillan. Vous verrez que ce n’est pas peut-être aussi commode que vous pensez. Moi, j’ai essayé cent fois, je n’ai pas encore réussi…
Sous sa moustache hérissée, il avait ce sourire tendre et narquois, sceptique et étincelant, ironique et terrible qui, en certaines occasions, lui donnait une si spéciale physionomie. Sans hâte, il avait pratiqué des ouvertures à travers les planches mal jointes du moulin. Et toutes les arquebuses, il les avait calées, elles étaient toutes braquées et il n’y avait qu’à y mettre le feu… Après quoi, il y avait encore les pistolets. Quand il eut ainsi rangé son artillerie, Pardaillan se recula en plissant les yeux comme pour admirer un beau tableau, et il eut un rire silencieux.
Au-dehors, au moment où le soleil se levait, Guise donna tout à coup le signal de l’assaut. Il eut bien voulu d’abord renvoyer tout ce monde, mais Guise était prisonnier de sa popularité. Au risque, donc, de perdre dans la bagarre un ou deux des sacs de Sixte Quint, il se résolut à entrer dans le moulin. Au signal qu’il donna en levant son épée, une immense clameur retentit, et l’armée se mit en marche de toutes parts ; mais presque au même instant, il y eut un arrêt général, et un grand silence tomba tout à coup sur la butte et la plaine, un silence de stupeur, devant un spectacle extraordinaire que chacun put voir :
Trois hommes sortant du moulin en portaient un quatrième solidement garrotté. Et en un instant, cet homme ficelé fut attaché à l’extrémité d’une des ailes du moulin…
— C’est Maineville ! rugit Guise effaré, hébété de stupeur.
Déjà les trois assiégés avaient saisi un deuxième personnage également garrotté et, avec la même rapidité, ramenaient vers le sol l’aile opposée et y
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