La Fausta
Catherine de Médicis prosternée… la bénédiction que seule peuvent donner les successeurs de saint Pierre ! Mais ce fut si rapide que les deux religieuses ne virent rien de ce geste.
Claudine déjà marchait devant Fausta et, lui montrant le chemin, la fit pénétrer dans une pièce meublée avec un luxe disparate… oratoire, peut-être, ou boudoir. Sur une table de marbre à coins rehaussés d’argent, c’était tout l’attirail des brosses, des pinceaux, des pots et des flacons, onguents et cosmétiques alors en usage non seulement pour les femmes mais aussi pour les hommes. Et au-dessus de cette table qui eût été mieux à sa place dans le cabinet de toilette d’une dame de la cour ou d’une riche ribaude, un Christ d’or étendait ses bras sur une croix de vermeil…
L’abbesse roula un large fauteuil, et lorsque Fausta se fut assise plaça sous ses pieds un coussin de velours. Elle-même demeura debout.
— Cette femme… cette bohémienne est toujours ici ? demanda alors Fausta.
— Oui, madame. Selon vos ordres, nous la surveillons étroitement. Mais ce n’est qu’une pauvre folle. Votre Sainteté désire-t-elle la voir ?…
Fausta demeura quelques minutes silencieuse et pensive, la tête appuyée sur sa main.
— Claudine, dit-elle enfin lentement, le temps n’est pas encore venu où vous pourrez m’appeler comme vous venez de le faire… ne l’oubliez pas…
— Oh ! pardon, murmura Claudine de Beauvilliers.
— Ma Sainteté ! reprit Fausta après un nouveau silence… Dérision !… Vingt-trois cardinaux réunis en conclave secret dans les catacombes de Rome ont résolu la guerre contre Sixte. Et déjà, devant l’exécution, ils tremblent. Dans les catacombes !… N’est-ce pas là tout un symbole ? Ma souveraineté pontificale est destinée à s’exercer dans les ténèbres, alors que mon âme aspire violemment au grand jour !… Ah ! Claudine, mon cœur déborde d’amertume. Vous êtes femme ! parfaitement femme… vous êtes celle que je chéris entre toutes et tous, malgré vos fautes peut-être !… Vous m’appelez Sainteté… Et lorsque je regarde en moi-même, je ne vois qu’une jeune fille épouvantée de voir que la nature s’est trompée en lui donnant le sexe qui est le nôtre, plus épouvantée encore de découvrir sous sa puissante pensée, sous ses aspirations insensées, la faiblesse d’une femme.
Claudine leva vers Fausta un regard d’ardente sympathie. Elle la vit pâle, agitée comme elle ne l’avait jamais vue. Elle la vit qui pressait son sein palpitant de ses deux belles mains sculptées dans le marbre le plus pur… Claudine s’agenouilla, saisit ces mains qu’elle baisa et murmura :
— Ah ! ma noble et radieuse souveraine, vous qui inspirez à la fois l’amour et le respect, vous que nul ne peut voir sans se courber sous l’intense irradiation de vos yeux, je vois qu’une douleur inconnue vous étreint… Que ne puis-je mourir pour vous éviter l’ombre d’une souffrance !…
Fausta, d’un geste plein de dignité, releva l’abbesse.
— Oui, dit-elle, vous êtes vraiment une apôtre, Claudine. Si votre chair est faible, votre âme est forte. Vous êtes la seule qui m’ayez comprise… Ecoutez donc… car je suis lasse de planer dans des régions trop élevées peut-être.
Sur un signe de Fausta, Claudine de Beauvilliers, abbesse des bénédictines de Montmartre, s’assit, et elle se prépara à écouter comme jadis, au fond de la Judée, les apôtres favoris écoutaient Jésus…
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Chapitre 22 LE CŒUR DE FAUSTA
E st-ce que le règne pontifical de Jeanne est un rêve ! reprit Fausta comme si elle se fût parlé à elle-même. Quelle est la loi qui défend à une femme d’occuper le trône de Pierre ? Est-ce qu’il n’y a pas des saintes comme il y a des saints ? Est-ce que l’Eglise n’admet pas les vœux féminins et n’a pas établi une hiérarchie parmi les femmes qui portent la parole du Christ ?… Les écrits des moines compilateurs prouvent que Jeanne a régné. Je puis donc régner !… Le sexe féminin n’est pas un obstacle aux grandes conceptions, témoin la papesse Jeanne qui réforma une partie du culte. Il n’est pas un obstacle aux grandes actions, témoin la guerrière Jeanne d’Arc qui délivra le royaume de France… Est-ce qu’une femme ne peut pas être ce qu’ont été ces deux femmes ?
Claudine écoutait ardemment ces étranges paroles prononcées de cette voix pleine
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