La Fausta
Voilà donc où nous en sommes, continua-t-elle simplement, comme si ce qui venait d’être dit n’eût pas compté pour elle. Guise a reculé de dix ans en ces quelques jours, et Farnèse, pierre angulaire de mon édifice, Farnèse m’échappe !… Voyons donc cette Saïzuma… puisque vous croyez avoir découvert…
— Je n’assure rien, madame ; mais mon devoir n’est-il pas de vous avertir de tout ce qui peut vous aider ?…
— Je connais votre dévouement, Claudine ; vous serez royalement récompensée, je vous le jure, mais voyons cette femme.
L’abbesse frappa dans ses mains. Une porte s’ouvrit et une religieuse parut :
— Qu’on amène la bohémienne, dit Claudine.
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Chapitre 23 LE SPECTRE
M aître Claude, laissant le prince Farnèse dans le pavillon que nous avons signalé, s’était éloigné en traversant le potager. Deux ou trois vieilles femmes aux costumes sordides presque en haillons travaillaient dans ce terrain. Ces femmes aux traits flétris, c’étaient des religieuses du couvent. Elles virent parfaitement Claude qui passait. Mais, chose bizarre, elles ne firent aucune observation, bien que l’entrée du couvent fût interdite aux hommes.
Mais, nous l’avons dit, tout était étrange dans cette retraite qui ressemblait aussi peu que possible à une retraite monastique. Seulement l’une des vieilles, en enfonçant sa bêche dans la terre, d’un geste rude qui rappelait beaucoup mieux la paysanne des champs que la religieuse habituée à de pieux exercices, maugréa quelques sourdes paroles contre la jeunesse dévergondée, les malheurs du temps, et la dure extrémité où étaient réduites les bénédictines.
— Heu ! grommela la sœur à qui s’adressaient ces doléances, il ne faut pas trop nous plaindre. Que deviendrions-nous, si de temps à autre, quelque riche cavalier, entré par la brèche, puisque c’est le passage convenu, ne venait…
— Fi ! ma sœur !… Ah ! nous vivons dans une bien triste époque. Il n’y a plus de frein aux passions. Le couvent réduit à la misère doit encore, par surcroît, abriter le dévergondage de nos jeunes sœurs… quand ce n’est pas l’abbesse elle-même qui leur donne l’exemple !
— Hélas ! il faut se résigner, car sans cela, nous mourrions de faim, et il nous faudrait mendier comme l’an passé.
Claude connaissait sans doute les étranges mœurs de ce couvent qui, même en cette époque, était une exception, une sorte d’anomalie. Il ne semblait prendre aucun soin de se cacher. Ayant traversé le potager qui était assez bien entretenu et planté d’un certain nombre d’arbres fruitiers, maître Claude parvint aux bâtiments à demi effondrés. Il passa sous une voûte, et là se rencontra avec une jeune et jolie fille au costume laïque et quelque peu sommaire.
Et cette fille au sourire effronté, aux yeux hardis, qu’on n’eût pas été surpris de voir dans une des innombrables maisons de débauche qui pullulaient dans le vieux Paris, c’était encore une religieuse. Elle se planta résolument devant maître Claude et, d’une voix câline, demanda :
— Ce beau cavalier est sans doute de l’escorte qui vient de s’arrêter devant le grand porche ?
— En effet, dit maître Claude.
— Et vous avez passé… par la brèche ? fit-elle en clignant des yeux. L’entrée du porche est interdite aux hommes, mais ceux qui savent… vous saviez, sans doute ?
— Oui ; je suis passé par la brèche, parce que je savais.
— Et le beau cavalier, reprit la fille avec un sourire, vient sans doute voir une de nos sœurs ?
— Je viens voir madame l’abbesse, dit Claude.
— Oh ! quelle voix morne et quel mortel regard vous avez ! reprit la fille en frissonnant. Madame l’abbesse ? Elle est en conférence avec la noble princesse qui s’intéresse à notre pauvre maison.
— Justement. Je suis de la suite de la princesse, et j’ai ordre de venir la retrouver.
— Ah ! c’est différent. Passez, mon brave. Moi, je vais me promener un peu à la chapelle.
La chapelle, en effet, avait été transformée en une sorte de promenoir. La jolie fille, ayant esquissé une chiquenaude et pivoté gentiment, s’en alla. Mais, avant de s’éloigner, elle montra à Claude deux sœurs qui débouchaient sous la voûte, et lui dit :
— Si vous allez chez l’abbesse, vous n’avez qu’à suivre ces deux sœurs…
Celles-ci étaient vêtues en religieuses. Elles marchaient lentement, la
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