La Fausta
de chaudes caresses et d’indomptable volonté. Elle comprenait qu’elle n’avait ni à approuver ni à désapprouver. S’adressant plus directement à l’abbesse, Fausta continua :
— Donc, ils sont vingt-trois qui, fatigués de la tyrannie de Sixte, ont résolu d’élever une Eglise devant son Eglise, un trône devant son trône… Trois ans se sont écoulés depuis… J’habitais alors Rome, le palais qu’avait habité mon aïeule Lucrèce. Le sang des Borgia bouillonnait dans mes veines. Riche, belle, adulée, seule au monde, je voyais mon palais plein de seigneurs et de princes de l’Eglise… Mais je n’avais de joie qu’à compulser les écrits du vieux temps, à relire la terrible légende des Borgia mes ancêtres, à suivre d’un regard rêveur la trace fulgurante qu’ont laissée dans le ciel de l’histoire ces trois météores qui s’appellent Alexandre Borgia, César Borgia, Lucrèce Borgia… Et j’ai senti en moi l’esprit vaste d’Alexandre, la fougue conquérante de César, le cœur de Lucrèce. Etre à moi seule ce qu’ils ont été à eux trois ! Sentir le monde chrétien palpiter sous ma parole comme il a palpité sous la parole d’Alexandre, le monde guerrier trembler sous mon glaive comme il a tremblé sous le glaive de César, le monde des courtisans s’incliner devant moi comme il s’est incliné devant la force et la beauté de Lucrèce… Oui, je faisais ce rêve inouï, lorsque je rencontrai Farnèse…
Fausta, à ce moment, tomba dans une songerie que Claudine se garda d’interrompre.
— Farnèse ! répéta seulement Fausta. C’est lui que je conquis le premier, et c’est lui qui le premier m’abandonne !…
— Quoi ! madame… le cardinal Farnèse !…
— Un soir, reprit Fausta sans répondre, Farnèse vint me chercher dans mon palais. Il connaissait mon rêve… Il en avait suivi le développement. Il me témoignait une sorte d’admiration… Ce soir-là, donc, l’ayant suivi, nous sortîmes de Rome et, par un antique tombeau de la Voie Appienne, nous pénétrâmes dans les Catacombes. Arrivé à un vaste carrefour éclairé de torches, je vis les vingt-trois revêtus de leurs simarres… « Voici celle que vous savez, dit Farnèse. Voici celle qui peut vous sauver… »
Alors les vingt-trois m’entourèrent. Je ne tremblai pas devant ce que j’entrevis à l’instant. Je n’eus pas peur de la proposition terrible que je devinai dans tous les yeux… Et lorsqu’elle fut enfin formulée, cette proposition, j’acceptai… Longtemps je parlai à ces hommes qui m’écoutèrent dans un effrayant silence… Et lorsque j’eus fini de parler, l’un après l’autre ils vinrent s’agenouiller devant moi et me baisèrent la main en signe de soumission… Alors l’un d’eux, le plus vieux, passa à mon doigt cet anneau…
Fausta allongea la main et montra l’anneau que nous avons signalé. L’abbesse s’inclina respectueusement et fit le signe de croix.
— Je me mis à l’œuvre, continua Fausta. En si peu de temps, j’ai bouleversé l’Italie dont presque tous les évêques sont prêts à me reconnaître. J’ai bouleversé la France, parce que son roi, aux premières ouvertures de Farnèse, haussa les épaules. Ce roi, je l’ai fait chasser. J’en ai choisi un autre…
Fausta retomba dans un morne silence.
— Il me semble, dit timidement Claudine, que les événements se déroulent bien selon vos plans…
— Voilà ce qui me déroute ! dit Fausta. Voilà ce qui m’épouvanterait si je pouvais l’être ! Les apparences sont telles qu’elles dépassent mes prévisions, et sous ces événements s’en trouvent d’autres qui m’arrêtent, me paralysent, me frappent d’impuissance… Les cardinaux du conclave secret ont peur devant l’acte définitif. Farnèse qui était celui sur lequel je m’appuyais vient de m’abandonner…
— Mais Guise ! Guise !…
— Guise est réconcilié avec la duchesse !… Je la tenais, pourtant !… Je l’ai renvoyée espérant qu’elle aurait assez d’audace pour se représenter une fois encore à l’hôtel de Guise, et qu’alors… Mais elle a eu l’audace prévue, elle a vu son mari… et le mari a pardonné !
Claudine de Beauvilliers réprima un sourire.
— Guise, reprit Fausta, Guise qui passe pour le type accompli de l’énergie violente, Guise n’est vraiment admirable que dans la bataille ; la lance ou l’estramaçon au poing, bardé d’acier de la tête aux
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