La Fausta
maître Claude en tendant le bras vers l’abbaye.
Farnèse jeta un regard sur l’escorte de Fausta, qui, ayant mis pied à terre, attendait devant la porte. Il n’eut pas un tressaillement, pas une hésitation, et dit :
— Bien. Es-tu décidé à agir ?…
— Je me suis vendu à vous pour un an, répondit maître Claude d’une voix sombre. Je vous appartiens, sinon de mon âme, du moins de mon corps. Ordonnez donc : j’obéirai… mais…
— Mais ?… demanda Farnèse, glacial.
Claude saisit le bras du cardinal, l’étreignit convulsivement, et gronda :
— N’oubliez pas qu’après la mort de la tigresse, vous m’appartenez, vous !…
Farnèse haussa les épaules et dit :
— Si je n’avais pour un temps raccroché ma vie à l’espoir de venger ma fille, je me livrerais à toi à l’instant, bourreau, et je te bénirais de me délivrer de la vie… Ne crains donc pas que j’essaie de déchirer le pacte qui nous lie…
— Ainsi, reprit Claude, si aujourd’hui, si tout à l’heure, la Fausta tombe sous mes coups…
— Aujourd’hui, tout à l’heure, je t’appartiendrai, bourreau !
— Bon ! commandez donc, et j’obéis !…
— Commençons par entrer dans ce couvent, dit Farnèse.
— Venez, répondit maître Claude.
Alors, à distance, et sous le couvert des vieux arbres, ils contournèrent l’abbaye.
Nous avons expliqué que le couvent était en triste état, comme si depuis des années déjà il eût été abandonné. Les murs, lézardés, tombaient en ruine par places ; les jardins jadis si beaux n’étaient plus qu’une forêt de ronces. Le potager qui se trouvait sur les derrières du couvent demeurait seul assez bien cultivé, les habitantes de ce lieu étrange se nourrissant principalement des légumes qu’elles faisaient pousser. Dans un large espace découvert, au fond duquel se dressait le rideau de verdure sombre d’un taillis de sapins, on voyait encore les ruines d’une sorte de vieille chapelle : il n’en restait plus que quelques colonnes debout : près de l’une de ces colonnes, à demi effritée, un siège en marbre, surélevé de plusieurs marches, avait résisté aux dents patientes du temps.
Ce potager était clos d’un mur d’enceinte comme le reste du couvent ; mais, à ce mur, il y avait de place en place de larges brèches qui, sous les pieds de mystérieux visiteurs, avaient fini par former de véritables passages ouverts.
Ce fut vers l’une de ces brèches que maître Claude se dirigea, suivi du prince Farnèse pensif.
Maître Claude était agité. Un frémissement, parfois, le parcourait. Il était pâle… Farnèse, plus pâle encore, était calme, pétrifié dans cette sorte d’indifférence glaciale qui semblait envelopper tous ses actes, ses mouvements ou ses gestes. Les deux hommes franchirent la brèche.
Non loin de cette brèche se trouvait un vieux pavillon d’élégante architecture jadis construit par quelque abbesse qui venait y chercher le repos et la solitude, mais qui, maintenant, verdi par les mousses, enfoui dans les églantiers grimpeurs, son fronton jeté bas, ses colonnes branlantes, son toit éventré, n’était plus lui-même qu’une ruine. Claude, d’un coup d’épaule défonça la porte vermoulue. Ils entrèrent.
— Attendez-moi là, dit maître Claude.
Farnèse acquiesça d’un signe de tête et demeura immobile tandis que l’ancien bourreau s’éloignait.
* * * * *
La princesse Fausta était entrée dans le couvent, c’est-à-dire dans le corps de logis principal, le seul qui fût encore habitable. Malgré l’incroyable puissance de caractère de cette femme, malgré tout son pouvoir sur elle-même, un trouble indéfinissable paraissait sur son visage. Elle était sombre — autant que pouvait paraître sombre cette figure irradiée de beauté. Quel tourment inconnu amassait donc la tempête dans cette âme ?…
Précédée de deux jeunes religieuses, à la physionomie plus mutine que dévote, aux yeux plus hardis qu’extatiques, Fausta, par de larges escaliers de pierre polie, restes d’une antique somptuosité, parvint au premier étage et sur l’immense palier où s’ouvrait un profond couloir, rencontra l’abbesse Claudine de Beauvilliers qui, prévenue, se hâtait de venir au-devant de son illustre visiteuse.
L’abbesse eut un agenouillement rapide, et Fausta leva la main, les trois premiers doigts ouverts, signe mystérieux que nous avons vu faire à Sixte Quint sur
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