La Fausta
tête baissée et les bras croisés. Car, chose plus fantastique encore que tout le reste, dans ce couvent, il y avait quelques sœurs demeurées pures, accomplissant avec zèle tous les exercices imposés à leur communauté par la règle. D’ailleurs, elles non plus ne parurent s’étonner ou se scandaliser de la présence d’un homme. Seulement, elles baissèrent davantage les yeux.
Entre ces deux femmes, marchait silencieuse, de son allure à la fois raide et glissante, la bohémienne au masque rouge… Saïzuma. Claude les laissa passer. Puis, quand il les vit monter un large escalier, il se mit à les suivre. Les deux religieuses longèrent un couloir et frappèrent à une porte qui s’ouvrit. Alors, elles prirent chacune Saïzuma par une main et entrèrent. Quelques instants plus tard, elles sortirent et s’éloignèrent lentement. Saïzuma était restée à l’intérieur. Alors, maître Claude s’approcha de la porte. Mais là il s’arrêta et passa ses deux mains sur son front. L’absence de tout obstacle, la facilité avec laquelle il marchait à l’événement terrible lui causaient une angoisse qu’il n’eût pas éprouvée s’il lui avait fallu traverser mille dangers pour arriver jusque-là… Et puis il éprouvait un sourd malaise qui ne venait pas de la situation elle-même, mais d’autre chose… de quoi ?
Claude avisa à quelques pas une porte entrouverte ; il y alla, poussa et se trouva dans une étroite pièce sans meubles où régnait une demi-obscurité. Dans cette solitude et cette obscurité, Claude, les bras croisés, la tête penchée, se prit à songer. Que venait-il faire là ?…
Tuer. Ou tout au moins s’emparer d’une femme qu’il allait livrer au prince Farnèse. Etait-ce de cette pensée que lui venait ce malaise ?… Non ! Une haine terrible l’animait contre Fausta. La meurtrière de sa fille devait mourir. Alors, qu’avait-il vu qui eût frappé son imagination ? Il lui semblait que des souvenirs confus et lointains s’agitaient au fond de sa mémoire.
« Cette bohémienne, songea maître Claude, cette bohémienne qui marchait entre deux religieuses, a une allure que je reconnais ; il me semble que j’ai vu déjà ces cheveux ainsi dénoués et cette démarche… »
Il médita longtemps sur ce sujet, ayant oublié à ce moment Farnèse et Fausta.
« C’est étrange que l’aspect de cette inconnue m’ait frappé à ce point, reprit-il enfin en secouant la tête. Ah çà ! pourquoi ? Qu’est-ce que peut me faire à moi cette bohémienne ?… Allons ! »
* * * * *
Les deux religieuses conduisant Saïzuma étaient entrées chez l’abbesse. Elles s’inclinèrent froidement devant Fausta et avec tout le respect dû à une supérieure devant Claudine de Beauvilliers.
— C’est bien, mes sœurs, dit celle-ci, vous pouvez vous retirer.
— Madame, dit alors l’une des religieuses, deux hommes viennent encore d’entrer sur le territoire de la communauté.
— Hélas, fit Claudine, les murs de notre pauvre couvent sont en ruine. Comment pourrions-nous empêcher ces incursions de l’Amalécite ? Tout ce que nous pouvons faire, c’est de prier. Allez prier, mes sœurs, allez…
Cette réponse impudente, Claudine la fit sur un ton de douloureuse piété. Les deux sœurs, qui n’avaient d’ailleurs parlé que pour l’acquit de leur conscience, s’inclinèrent et sortirent. Sans doute Fausta était au courant des mœurs extraordinaires de ce couvent, car elle ne parut nullement étonnée. Seulement, tandis que les sœurs se retiraient, elle dit :
— Le jour est proche, madame l’abbesse, où vous pourrez relever les murs de Jérusalem et rebâtir le temple qui abrite ces saintes filles. N’oubliez pas qu’un revenu de cent mille livres est assuré à votre couvent, du jour où nos projets auront été bénis par Dieu.
L’œil de Claudine étincela. Fausta, déjà, s’était tournée vers Saïzuma et l’examinait en silence. La bohémienne s’approcha d’elle, lui prit la main, et lui dit de sa voix morne :
— Voulez-vous savoir votre bonne aventure ?…
— Non, dit Fausta. Mais si tu veux, je te dirai la tienne. Car moi aussi je sais lire dans la main les événements passés.
Saïzuma considéra avec étonnement la femme qui lui parlait ainsi avec une douceur d’accent qui fondait son cœur et une autorité qui la subjuguait.
— Qui es-tu ? demanda-t-elle. Es-tu de bohème comme moi ?…
— Peut-être, dit
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