La Fausta
L’abbesse voulut la suivre, mais Claude referma la porte à clef, en disant :
— Demeurez ici, madame. Sachez de plus que si vous appelez, si vous donniez l’éveil, l’unique chance de salut qui reste à la princesse Fausta s’évanouirait, et que je la poignarderais au premier cri.
Claudine demeura donc enfermée dans la chambre, à demi évanouie de terreur. Quant à Fausta, elle marchait d’un pas tranquille. Claude venait derrière elle, sa main crispée à la poignée de sa dague, et la dévorant des yeux. Il ne prêtait d’ailleurs aucune attention à Saïzuma. Lorsque Fausta fut arrivée au bas de l’escalier, elle se tourna vers Claude et lui dit :
— Conduisez-moi…
— Allez droit au fond du jardin, répondit Claude. Et n’oubliez pas qu’au premier cri, au premier geste, je vous égorge… comme vous avez sans doute fait égorger mon enfant…
Ces derniers mots se perdirent dans un sanglot.
Fausta se mit en marche vers le point qui lui avait été désigné. Elle atteignit le pavillon et entra. Claude entra derrière elle et ferma la porte.
Farnèse, demeuré à la même place, plongé dans une méditation, n’entendit pas le bruit de la porte qui grinçait, ni le bruit des pas qui craquaient sur le plancher pourri. Claude se dirigea vers lui. En cette seconde, Fausta conduisit la bohémienne dans un angle obscur et lui dit impétueusement :
— Si tu veux te libérer de la douleur qui étreint ta vie depuis que tu fus trahie par Jean de Kervilliers, demeure ici, en silence. Quoi que tu voies et entendes, tais-toi, ne fais pas un mouvement.
La recommandation était inutile. La bohémienne avait vu le cardinal Farnèse, et un profond tressaillement avait secoué tout son être.
— L’homme noir de la place de Grève ! murmura-t-elle. Pourquoi sa vue me cause-t-elle une telle horreur… une horreur pareille à celle que j’ai éprouvée jadis ?…
Fausta s’était vivement dirigée vers l’extrémité opposée de cette salle. Là, quelques magnifiques fauteuils aux tapisseries déchirées, aux bois moisis demeuraient alignés comme pour attester à la fois l’antique opulence et la ruine présente de l’abbaye des bénédictines. Fausta, sans souci de la poussière, prit place dans l’un d’eux et attendit. Sa physionomie s’était faite dure, plus impénétrable ; ses yeux plus noirs, d’un noir funeste, d’un insoutenable éclat ; elle était un peu pâle ; et ainsi, elle apparaissait alors comme le génie de quelque palais enchanté, endormi depuis des siècles…
Claude avait touché Farnèse à l’épaule. Farnèse tressaillit, s’éveilla du sombre rêve qui l’avait entraîné dans les profondeurs du passé et jeta autour de lui des yeux étonnés. A quoi songeait-il donc, en cette heure où il avait résolu de punir un meurtre par un autre meurtre ?… De Fausta sa pensée était remontée à Violetta… Et de Violetta, à la mère… à l’amante… éternel remords de sa vie.
— Monseigneur, dit Claude, elle est ici.
— Elle ! Qui, elle ? haleta Farnèse en bondissant.
— Celle qui a tué votre fille, celle que nous avons condamnée, celle qui va mourir… la voici.
Du doigt, Claude désigna Fausta que le cardinal aperçut alors.
— Ah ! oui !… murmura-t-il, Fausta ! Ce n’est que Fausta !
Il y avait comme un soupir de soulagement dans cette constatation. Dès lors, Farnèse parut reprendre ce visage pétrifié qui formait comme un masque à l’invisible douleur qui rongeait sa vie.
— Bourreau, dit-il d’une voix sinon paisible, du moins très calme, tu attendras dehors. Quand je t’appellerai, il sera temps. Tu entreras et tu exécuteras la sentence.
Claude s’inclina avec soumission. En se dirigeant vers la porte, il vit Saïzuma, pareille à quelque statue qui eût été oubliée là. Il eut un instant d’hésitation. Puis, haussant les épaules, il murmura :
— Qu’importe, après tout, que l’exécution se fasse devant témoins ?
Et étant sorti, il s’assit sur le seuil de pierre verdi par les mousses, comme autrefois il s’asseyait au pied de l’échafaud en attendant l’heure d’aller chercher le condamné… Farnèse, pendant quelques instants, contempla silencieusement Fausta.
— Madame, dit-il enfin, vous voilà en mon pouvoir. Je dois vous prévenir que j’ai l’intention de vous tuer comme on tue une bête féroce, sans haine ni colère, uniquement pour l’empêcher de mordre.
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