La Fausta
Fausta. Mais puisque je te parle à visage découvert, ne peux-tu retirer ton masque ?
Saïzuma secoua la tête.
— Mon masque est rouge, mais si je le retire, on verra que mon visage est pourpre de honte. Je ne veux pas qu’on voie ma honte et ma terreur… Tous ceux qui étaient dans l’église cathédrale et sur la place de Grève m’ont vue… Oh ! j’ai honte ! ajouta-t-elle en se cachant vivement le visage comme si son masque eût été insuffisant.
— L’église cathédrale ! murmura Fausta en tressaillant. La place de Grève !… Oh ! serait-ce bien elle ?…
Elle ajouta tout haut, en étudiant l’effet de ses paroles :
— Et puis, peut-être tu redouterais d’être reconnue par le bourreau ?
Saïzuma eut un geste d’indifférence et de dédain :
— Le bourreau n’est rien, dit-elle. Il ne m’a pas fait de mal. Il n’a pas broyé mon cœur. Que peut-il contre moi ? Il ne peut que m’enlever la vie. Celui que je redoute, c’est l’imposteur qui a tué mon âme…
Elle frissonna.
— Le nom de cet imposteur ? dit Fausta en suivant avec une attention passionnée l’effet de ses paroles. Peux-tu me le dire ?…
— Il est là ! répondit Saïzuma en posant la main sur son sein. Nul ne le saura. Pour le savoir, il faudra m’ouvrir le sein.
— Eh bien ! je le sais, moi !…
Saïzuma éclata de rire. Fausta saisit sa main, l’ouvrit, y jeta un regard, et d’une voix impérieuse :
— Les lignes de ta main m’ont révélé ta vie passée…
Saïzuma retira violemment sa main et la referma dans un mouvement de terreur convulsive.
— Trop tard ! continua Fausta. Je sais tout, maintenant ! Je sais que tu as aimé, pleuré, souffert ; je sais que c’est au pied de l’autel que ton cœur a été broyé par l’évêque…
— L’évêque ! palpita la bohémienne qui se mit à trembler.
— Oui, dit Fausta, l’évêque ! Celui que tu aimais ! Jean de Kervilliers !…
Saïzuma jeta un cri de détresse, tomba à genoux, et un long gémissement s’exhala de ses lèvres.
— C’est elle ! C’est bien elle ! murmura Fausta.
Et elle se pencha vers la bohémienne pour la relever. A ce moment, la porte s’ouvrit. Fausta vit entrer maître Claude… Elle ne frémit pas. Mais se redressant de toute sa hauteur :
— Que viens-tu chercher ici ? demanda-t-elle.
— Vous ! répondit Claude.
Claudine s’élança en disant :
— Les cavaliers de votre escorte suffiront pour vous débarrasser de cet homme.
Fausta l’arrêta.
— Un peu de patience, dit-elle. Cet homme a peut-être une supplique à m’adresser.
— En effet, dit Claude.
— Parle donc…
— Ma supplique est simple, madame. Je voulais vous prier de m’accompagner jusqu’au vieux pavillon qui se trouve derrière les jardins de ce couvent.
— Et si je refusais, bourreau ?
— Bourreau ! murmura Claudine stupéfaite et terrifiée.
— Si vous refusiez, madame, je serais forcé de vous tuer tout de suite.
En même temps il tira sa dague et, du dos, s’appuya à la porte fermée comme pour couper toute retraite.
— Mon maître, reprit-il, et je dis mon maître parce que je lui appartiens en ce moment, m’a ordonné de vous amener à lui dans ce pavillon. Je vous amènerai, morte ou vive.
Claudine, devant cette scène imprévue, était devenue livide d’épouvante. Fausta gardait cette admirable expression de majesté sereine qui lui était habituelle.
— Et ton maître, dit-elle, ou celui que tu appelles ainsi, qui est-ce ?…
— Monseigneur le cardinal prince Farnèse… Vous voyez, madame, qu’il vous est presque impossible de vous soustraire à l’entretien suprême que vous devez avoir avec lui… Vous deviez un peu vous attendre à revoir le cardinal…
Fausta avait violemment tressailli.
— Tu dis que le prince Farnèse m’attend au pavillon ? demanda-t-elle.
— Je dis que je dois vous conduire à lui, et que je vous conduirai, morte ou vive.
— Je te suis ! dit Fausta.
Si Claude fut étonné par ce peu de résistance, il ne le témoigna ni par un mot, ni par un geste. Fausta, d’un signe, avait rassuré Claudine. Puis, se penchant vers Saïzuma, elle la releva en murmurant à son oreille avec une expression d’infinie pitié :
— Venez, pauvre femme, venez avec moi… et vous ne souffrirez plus…
Maître Claude, sa dague nue à la main, ouvrit la porte. Fausta passa, s’appuyant sur le bras de Saïzuma, ou plutôt l’entraînant.
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