La Fausta
n’y a que la mort qui sépare pour de bon !…
Il montait donc fort allègrement les pentes de Montmartre, trouvant la nature charmante, Pardaillan le meilleur des compagnons, convaincu que là-haut il allait trouver la bohémienne Saïzuma, et que par la bohémienne, il finirait par savoir la retraite de Belgodère, et par conséquent de Violetta. Car selon toutes les apparences, Violetta devait se trouver où se trouvait le bohémien.
Les quatre hommes parvinrent à la brèche. Pardaillan passa le premier, et ne voyant rien d’anormal et d’inquiétant, fit signe à Charles qui le suivit aussitôt. Bientôt ils furent rejoints par Croasse et Picouic… Dans le jardin, les deux vieilles religieuses continuaient à bêcher sous le grand soleil, la tête abritée par un voile, seule partie de leurs pauvres vêtements en loques qui rappelât que c’étaient là des sœurs appartenant à une communauté de bénédictines.
La même vieille, qui avait tant grommelé lorsqu’elle avait aperçu maître Claude traversant tranquillement le potager, aperçut soudain les quatre nouveaux venus. Elle se redressa, s’appuya sur sa bêche et, avec un sourire amer, les désigna à sa compagne.
— Cela va bien, dit-elle, ils viennent à quatre, maintenant ! Jésus, dans un peu de temps, c’est toute une armée qui viendra s’installer au couvent !
— Allons, allons, sœur Philomène, dit l’autre religieuse plus sceptique ou plus résignée, à quoi sert-il que vous vous mettiez en colère ? Si nos jeunes sœurs se veulent damner, cela les regarde… nous n’y pouvons rien !
— Je sais que nous n’y pouvons rien, mais néanmoins, je pense, sœur Mariange, que c’est une honte, une abomination, une désolation et une extermination que des hommes puissent entrer librement dans notre communauté. Vertudieu ! — je puis bien jurer, nos jeunes sœurs font bien autre chose — vertudieu ! dis-je, aucun homme jamais ne m’adressa la parole. Ils voient bien, les sacripants, à qui ils ont affaire !
Sœur Mariange (Marie-Ange) opina d’un sourire aigre-doux.
— Ce n’est pas, reprit sœur Philomène, qu’on ait été toujours ce qu’on paraît aujourd’hui. Il n’y a pas bien longtemps encore, on avait des yeux et une taille digne d’être regardés et qui l’étaient. Mais on était sévère, selon la règle… Et même aujourd’hui, il me semble qu’on n’est pas si décatie. Mais on a de la vertu… et une langue !… Et si un homme, sœur Mariange, avait jamais l’audace de m’adresser une œillade, ou un mot, je vous jure bien qu’il en entendrait de dures…
— Le fait est, dit sœur Marie-Ange doucement, qu’en ce qui concerne la langue, Dieu vous fut prodigue de ses faveurs.
Sœur Philomène, redressée comme un coq sur ses ergots, s’apprêtait à riposter vertement à cette insinuation qu’elle jugeait malveillante et exagérée, mais l’orage qui s’amoncelait sur la tête de Mariange se dissipa soudain.
— Jésus Marie, murmura sœur Philomène, on dirait qu’ils tiennent à nous, regardez, sœur Mariange…
— Oui, vraiment, c’est à nous qu’ils en veulent… Allons-nous-en, sœur Philomène.
Sœur Philomène, d’un geste rapide, défripa sa pauvre vieille jupe et, d’un coup de main, rentassa sous la coiffe les mèches de cheveux qui voltigeaient au vent.
— Restons au contraire, dit-elle. Il faut savoir s’ils auront l’audace de ne pas nous respecter.
Pardaillan et le duc d’Angoulême s’avançaient en effet vers les deux religieuses. Sœur Mariange regarda en face les deux arrivants. Sœur Philomène baissa pudiquement les yeux.
Sœur Mariange était une petite personne grasse et replète, toute en embonpoint, avec une figure rougeaude. Elle prenait le temps comme il venait, acceptait la pluie et le soleil non pas avec indifférence, non pas avec résignation, mais en employant toutes les ressources de son esprit matois à les faire tourner à son profit.
Sœur Philomène, anguleuse et sèche comme un sarment, ne décolérait pas. Elle trouvait la vie injuste, bougonnait à propos de tout et de tous. Elle avait dû toujours être laide, et elle en gardait une rancune à tout l’univers. Elle ignorait d’ailleurs parfaitement la vie, et par certains côtés, elle était d’une innocence enfantine.
Pardaillan souleva son chapeau avec beaucoup de politesse et ouvrit la bouche pour parler.
— N’approchez pas ! Arrêtez ! s’écria sœur
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