La Fausta
Qu’avez-vous à dire à cela ?
— Cardinal, répondit Fausta, vous êtes en état de rébellion contre votre souveraine. J’eusse pu, d’un mot, livrer le bourreau que vous m’avez envoyé, et dont vous êtes devenu l’aide, vous, un Farnèse. Mais j’ai voulu voir jusqu’où irait votre audace. Et c’est pourquoi je suis ici. J’y suis de ma propre volonté. J’y suis seule, sans gardes, à votre entière merci. J’ai voulu venir ainsi. Car, sachez-le, je sortirai de cette maison sans que vous ayez touché un cheveu de ma tête. Maintenant, parlez.
Un instant, sous cette voix dominatrice, le cardinal faillit courber la tête. Devant cette assurance qui faisait Fausta plus mystérieuse, plus formidable que jamais, il trembla presque. Mais tout aussitôt, reprenant sa volonté, il continua.
— Une seule chose au monde peut vous sauver. Lorsque je me suis traîné à vos pieds, lorsque je vous ai crié que cette pauvre innocente sacrifiée à vos projets, c’était ma fille… ma fille, entendez-vous ; lorsque j’ai pleuré, supplié, je croyais encore parler à la Souveraine. J’ai vu alors que vous étiez seulement une femme d’une perversion un peu plus profonde que celle des scélérates que l’on pend. J’ai vu alors qu’il n’y avait en vous que de l’audace, et que cela seulement vous faisait forte. Pendant des années, je vous ai été aveuglément dévoué. J’ai obéi sans discuter vos ordres, même en pensée. Pour vous je me suis fait criminel, croyant agir pour le bien de la nouvelle Eglise. Et lorsque je vous ai demandé ma fille, vous m’avez dit : elle est morte… A ce moment-là je vous ai condamnée. J’ai décidé que vous mourriez aussi, vous. Rien ne peut donc vous sauver aujourd’hui, à moins que vous ne me prouviez que vous avez menti, et que ma fille n’est pas morte !
Le cardinal fixa un ardent regard sur Fausta. Un dernier espoir le faisait palpiter :
— Elle est morte, dit Fausta avec une implacable tranquillité.
Farnèse eut un rugissement de douleur, comme si pour la première fois il entendait l’affreuse parole.
— Elle est morte, continua Fausta. J’ai voulu savoir si vous, mon premier disciple, vous étiez assez dégagé des faiblesses humaines pour sacrifier même votre fille à la cause sacrée pour laquelle vous deviez dévouer votre sang jusqu’à sa dernière goutte, votre cœur jusqu’à sa dernière palpitation, votre âme jusqu’à sa dernière lueur… Si je vous avais vu tel que je vous espérais, Farnèse… qui sait de quoi j’eusse été capable, et quelle magnifique récompense j’eusse trouvée pour vous ! Qui sait même si un miracle ne vous eût pas rendu celle que vous pleurez !…
— Un miracle, madame ! gronda Farnèse dont les yeux devinrent sanglants. Il n’y a plus de miracles, s’il y en a jamais eu !
— Qu’en savez-vous, cardinal ? demanda Fausta d’une telle voix d’auguste majesté que Farnèse frissonna et chancela, éperdu.
Mais recouvrant son sang-froid avec sa douleur :
— Rêves insensés ! dit-il sourdement. N’espérez pas, madame, échapper à la sentence en me berçant d’un puéril espoir. Puisque ma fille est morte, nulle puissance ne me la rendra !… Et puisque vous l’avez tuée, je vais vous tuer !…
A ces mots, le cardinal fit un mouvement comme s’il allait appeler le bourreau. Mais en même temps, Fausta se leva. Et elle marcha si flamboyante dans sa sérénité, si terrible dans sa majesté, que le cardinal s’arrêta et qu’une secrète horreur l’envahit tout à coup. Fausta posa sa main sur le bras de Farnèse et prononça :
— Puisque votre rébellion vous damne, puisque vous n’avez pas voulu que fût tenté le miracle de joie, puisque, par votre révolte, celle qui pouvait être la résurrection de votre âme est à jamais perdue pour vous, eh bien… que s’accomplisse donc le miracle de désespoir, vivez avec celle qui est la mort de votre âme !
— Que voulez-vous dire ? balbutia Farnèse. Qui donc est celle que vous dites ?…
— Cherche en toi-même ! Tu la crois morte depuis seize ans !…
— Oui ! oui ! elle est morte !… dit Farnèse, avec un accent d’indicible terreur.
— Regarde ! dit Fausta.
Farnèse se tourna vers le point où marchait Fausta, et il vit Saïzuma.
— La bohémienne ! murmura-t-il sourdement.
Fausta, d’un geste rapide, fit tomber le masque de Saïzuma, et elle répéta :
— Regarde !…
—
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