La Fausta
stupéfait.
Mais déjà le serviteur l’entraînait, lui faisait monter un large escalier et ouvrait une porte ; le bohémien se trouva devant l’entrée d’une vaste pièce à demi-obscure. Il écarquilla les yeux et son regard ardent parcourut la pièce. Il vit le prince Farnèse qui, les traits bouleversés, venait à sa rencontre. Puis, dans ce regard, une flamme sauvage s’alluma soudain, et il gronda dans une sorte de rugissement de joie furieuse :
— Il est là !…
Il !… C’était Claude !
Oui, Claude était là. Depuis le pacte qu’ils avaient signé, le prince Farnèse et maître Claude, le cardinal et le bourreau vivaient, ou du moins se voyaient à tout moment, unis dans une commune pensée : tuer Fausta qui avait tué Violetta.
Lorsque Farnèse eut reçu, dans la nuit qui venait de s’écouler, la lettre de Fausta qui lui annonçait que sa fille était vivante, Claude se trouvait près de lui. Le reste de cette nuit fut pour les deux hommes une de ces effroyables séries d’angoisses qui font blanchir les cheveux, une de ces tempêtes de sentiment où le flux d’espoir, les reflux de désespoir ballottent l’âme. Silencieux, livides, ils se regardaient, n’osant s’interroger ni se communiquer leurs pensées.
Pour Claude, Violetta était une adoration ; la possibilité qu’elle fût vivante et qu’il pût la revoir, l’avait assommé. Pour Farnèse, Violetta vivante, c’était la possibilité du pardon de Léonore. Pour tous les deux, c’était la vie… le retour à la vie au moment où tout était mort en eux.
Lorsque le jour se leva et filtra à travers les volets fermés, ils se virent si changés, si pitoyables avec des visages empreints d’une telle angoisse qu’ils se firent peur. Farnèse, le premier, secoua cette torpeur morbide et, appelant un serviteur, lui donna des ordres.
— Attendons ! dit-il alors.
— Attendons ! répéta Claude.
Farnèse demeura immobile, les bras croisés. Claude se mit à marcher lentement. Il leur semblait qu’ils vivaient dans un rêve. Tantôt la lettre de Fausta leur paraissait toute naturelle, et parfois ils croyaient qu’elle avait menti. Mais pourquoi Fausta aurait-elle menti ? Dans quel but ? Dans quel intérêt ?
— Jamais cette femme ne ment, dit à un moment Farnèse, comme s’il eût répondu à sa pensée.
Du temps s’écoula. Et le cardinal murmura encore :
— Qui sait si ce n’est pas Violetta elle-même qui va venir ?
Claude n’entendit pas ces mots, sans doute, car à diverses reprises, il gronda sourdement :
— Qui est cet homme qui va venir ?… Où et comment va-t-il nous montrer l’enfant ?…
Les rumeurs qui montaient de la place glissaient sur eux sans les frapper. Pourtant, à la longue, l’attention de Farnèse se concentra sur ces bruits qui s’enflaient. Dans l’anormale surexcitation de cette attente fiévreuse, il en vint à imaginer une mystérieuse connivence entre la lettre de Fausta et ces clameurs qu’il entendait. Il alla à la fenêtre, repoussa légèrement les volets. La Grève lui apparut soudain, avec ses deux poteaux de supplice, ses deux bûchers, son estrade, sa foule immense, vision tragique, effrayante, qui le fit reculer.
— Qui va-t-on exécuter ? demanda-t-il d’une voix terrible en saisissant le bras de Claude.
Claude demeura un instant hébété d’horreur. En lui aussi, tout à coup, s’opérait la connivence mystérieuse entre l’idée Violetta et l’idée exécution. Il bondit à la fenêtre et, hagard, considéra ce qui se passait. Un cri de mort, une bouffée de malédiction, un nom répété par les mille gueules du monstre qui se roulait autour des bûchers. Ce nom lui apprit la vérité. Il sourit.
— Rassurez-vous, dit-il. Je me souviens. On pend ce matin les Fourcaudes…
— Les filles du procureur Fourcaud ?…
— Ses filles ? dit Claude en tressaillant violemment. Oui !… Ses filles !… Jeanne et Madeleine…
— Vous savez leurs noms ?…
Ce même tressaillement secoua Claude qui fit oui de la tête, et ramena alors les volets comme pour ne pas voir ce qui allait se passer.
— Pourquoi savez-vous leurs noms ? répéta le cardinal, heureux de penser un instant d’autres pensées.
— Tout le monde le sait, dit Claude.
Et tout bas, d’un murmure indistinct, plus pâle encore qu’il n’était la minute d’avant :
— Jeanne et Madeleine !… Les filles de Fourcaud !… De Fourcaud !… Hélas !
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