La Fausta
qui la tues, meurs donc ! Meurs et sois damné !…
En même temps, la dague de Farnèse jeta un éclair. Mais les émotions qui venaient de le bouleverser avaient achevé de briser en lui les ressorts de la vie… La dague ne s’abattit pas ! La main de Farnèse ne retomba pas sur Belgodère… Le cardinal ouvrit les bras tout grands, tournoya sur lui-même et s’abattit comme une masse, évanoui… Belgodère s’élança, descendit en quelques bonds, et une fois dehors se prit à courir vers la porte Montmartre.
L’évanouissement de Farnèse ne dura que quelques secondes. Les violentes pensées qui tourbillonnaient dans sa tête furent plus fortes que la faiblesse physique. Il ouvrit les yeux et se vit seul. De la place de Grève une immense rumeur montait… une étrange clameur qui n’était plus le hurlement de mort de tout à l’heure, mais un fantastique tumulte de cris furieux… Farnèse, pantelant, se traîna vers la fenêtre…
— Oh ! que je la voie une dernière fois ! balbutia-t-il.
Il se hissa, appuya ses deux mains crispées à l’appui… et alors… ce qu’il vit alors fut sans doute un de ces prodigieux spectacles comme en imagine l’esprit dans la fièvre des rêves insensés… car ses yeux se dilatèrent jusqu’à s’exorbiter, et son visage livide exprima un fabuleux étonnement !…
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Chapitre 35 L’EPOPEE
L e duc de Guise et sa brillante escorte avaient mis pied à terre près de l’échafaud qui avait été préparé pour eux : les chevaux furent massés sur le côté gauche, tenus en main par des valets ; il y avait un valet pour six chevaux. Sur le côté droit se rangèrent les gardes et les hérauts qui, de leurs trompettes pavillonnées de velours aux armes de Lorraine, jetaient de minute en minute une fanfare stridente aux échos de la Grève.
Au moment où le flot de gentilshommes, dans un bruissement soyeux des manteaux de satin monta les marches de l’estrade, un page aux couleurs de Guise prit place parmi les pages du duc. Celui-ci ayant salué une fois encore la foule immense qui l’acclamait s’assit dans un fauteuil plus élevé que les sièges réservés aux gentilshommes. Derrière le fauteuil se rangèrent les huit pages, le poing sur la hanche. Ils ne témoignèrent aucune surprise à voir ce neuvième page se glisser parmi eux et prendre d’autorité la place d’honneur, c’est-à-dire se poster juste derrière le duc, de façon à toucher presque le dossier du fauteuil. Ou, s’ils furent surpris, ils n’en laissèrent rien voir, car la rigoureuse étiquette de l’hôtel de Guise leur défendait toute parole, tout signe, tout geste lorsqu’ils étaient en cérémonie.
En arrière des pages prirent place Maineville. Bussi-Leclerc, Maurevert, M. de Montluc et Bois-Dauphin, et La Chapelle-Marteau, Rolland, Neuilli, Jean Lincestre, curé de Saint-Gervais, et la foule des gentilshommes, escorte royale de ce chef qui n’osait être roi. En sorte que l’estrade présentait un coup d’œil fastueux et que les acclamations du peuple redoublaient d’intensité et d’enthousiasme.
Tout à coup, Guise pâlit. Les gentilshommes de l’estrade frémirent et se levèrent. D’un groupe nombreux et discipliné, massé au pied de l’estrade, un nouveau cri venait de se lever. Et ce cri, on le poussait sur un signe que venait de faire le page inconnu placé derrière le fauteuil du duc. Et c’était, hurlé d’une voix terrible, impérieuse, ce cri qui effara un instant tout ce monde :
— Vive le roi !…
— Vive le nouveau roi de France !…
Les gentilshommes de l’estrade hésitèrent une seconde, les yeux braqués sur Guise, puis entraînés, se levèrent, se découvrirent et d’un seul coup, tonnèrent :
— Vive le roi !…
— Vive le roi ! Vive le roi ! répéta la multitude exaltée, délirante, affolée.
Le page se pencha sur le dossier du fauteuil, et tandis que Guise balbutiait d’indistinctes paroles, murmura d’une voix ferme :
— Roi de Paris, voici l’occasion d’être roi de France !…
Le duc se retourna vivement, secoué jusqu’au fond de l’être par cette voix vibrante :
— Vous, madame ! Vous, princesse Fausta ! ici ! sous ce costume !…
— Je suis où vous êtes, et peu importe le costume, puisque je porte votre blason. Duc, agirez-vous, aujourd’hui ! Ce peuple, tout à l’heure, va vous porter sur ses épaules jusqu’au Louvre, si vous le voulez !…
— Princesse !
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