La Fausta
pouvais-je prévoir cela, quand…
Un coup de marteau extérieur ébranla la grande porte et répercuta de sourds échos jusqu’à eux.
— Le voilà ! murmura Farnèse d’une voix éteinte !
Claude ne dit rien, mais ses yeux se rivèrent sur la porte. Au dehors, un immense hurlement monta.
— Les voilà ! Les voilà ! Les Fourcaudes !
Ils n’entendirent pas cette clameur funèbre qui se déchaînait. Ils n’entendirent que le pas précipité de celui qui montait l’escalier, de celui qui allait leur montrer Violetta vivante… et la leur rendre sans doute !…
Farnèse, la tête en feu, s’avança chancelant vers la porte. Claude voulut s’élancer… A ce moment cette porte s’ouvrit et l’ancien bourreau demeura cloué sur place, les cheveux hérissés.
Et — devenait-il fou ? — à cette minute où la pensée de Violetta eût dû occuper son esprit et son âme, à cette seconde où, après la nuit d’effroyable angoisse, il eût dû éprouver la détente bienfaisante, ce n’est pas à Violetta qu’il pensa. Voici ce qu’il songea. Voici ce qu’il rugit en lui-même : « Lui !… Lui !… A l’heure où les Fourcaudes montent au bûcher !… Oh ! l’abominable fatalité !… »
Et alors, il recula, comme si la vue de Belgodère l’eût affolé d’horreur. Il recula comme devant un spectre venant lui demander quelque compte terrible. Il recula, avec une étrange, une incompréhensible timidité, devenu humble, et la tête baissée sous le poids de quelque pensée trop lourde…
Farnèse, du premier coup d’œil, reconnut le bohémien à qui il avait parlé sur cette même place de Grève ! Le bohémien à qui il avait donné l’ordre de conduire Violetta au palais Fausta !… Sa fille !…
Mais ce n’était pas la preuve aveuglante que Fausta n’avait pas menti ! Le bohémien devait savoir où se trouvait Violetta ! C’était lui qui venait ; c’était tout naturel !… Farnèse eut un rugissement de joie folle, saisit le bras de Belgodère et balbutia :
— Ma fille !… Où est ma fille ?
— Sa fille ! gronda le bohémien. Est-ce qu’il est fou celui-là ?…
A cet instant, il aperçut Claude, se débarrassa d’un geste brusque de l’étreinte du cardinal, et marcha sur l’ancien bourreau. Claude frémit.
— Voici longtemps que nous nous étions vus, dit Belgodère avec un rire qui résonna plus effroyable que la clameur de mort montant de la Grève.
— Ma fille ! haleta Farnèse. Est-ce toi que Fausta m’envoie ?… Parle !… Est-ce toi qui viens me rendre Violetta ?…
Belgodère peut-être n’entendit pas. Il abattit sa main sur l’épaule de Claude.
— Depuis le temps, continua-t-il, où tu m’as refusé de me montrer mes enfants, ne fût-ce qu’une minute !…
Le regard de Claude se tourna vers la fenêtre avec une indicible expression d’effroi.
— Ecoutez-moi, murmura-t-il d’une voix humble, je croyais bien faire… sauver ces pauvres petites dans leur corps et dans leur âme… oh ! je vous le jure, celui qui les prenait était un homme de bien… je ne savais pas ce qui allait arriver…
— Sauver mes filles ! gronda Belgodère. Sauver des enfants en les arrachant à leur père ! Fameux !…Ainsi, digne bourreau, tu ne t’es pas demandé ce que le père allait souffrir !… Et tu ne t’es pas dit que je chercherais à te rendre deuil pour deuil, souffrance pour souffrance !… Fou ! Triple fou ! Et tu avais une fille, toi aussi !
Claude se redressa. Son regard flamboyant plongea dans le regard de Belgodère, avec une foudroyante interrogation.
— Que dis-tu ?…
— Ta fille ! hurla le bohémien. Ta Violetta !…
— Violetta ! bégaya Farnèse, stupide d’épouvante devant ce qu’il entrevoyait.
— Ta Violetta ! continua Belgodère qui ne semblait même pas voir Farnèse. Qui te l’a enlevée ? Dis ! Le sais-tu ? C’est moi !… Moi ! Comprends-tu cela ?…
Une fois encore, le regard de Claude se porta vers la fenêtre avec une singulière expression d’horreur. Puis, ce regard, il le ramena sur Belgodère qui se redressa de toute sa hauteur, se drapa d’un geste qui lui était devenu familier, et avec des sanglots, avec un rire féroce, cria :
—Eh bien, bourreau !… Tu ne dis rien !… Veux-tu me dire ce que tu as fait de Flora ?… ce que tu as fait de Stella ? Moi je te dirai ce que j’ai fait de Violetta !… Je suis ici pour cela !
— Cet homme a tué
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