La Fausta
l’avait bouleversé. Ce n’était plus la jeune fille de l’hôtel Montaigues, si adorable de grâce et de confiance… mais c’était la femme dans toute la splendeur d’une beauté préservée par la folie même, et parvenue à un idéal état de perfection… Oh ! la revoir, maintenant !… Les emporter toutes deux… elle et sa fille ?… Déchirer cette robe de cardinal dont la pourpre lui apparaissait faite de sang !… S’en aller dans quelque pays lointain… retrouver le bonheur et l’amour !…
C’est toute cette vision qui enfiévrait le cardinal à ce moment même où Fausta descendait de l’estrade, rugissante de sa nouvelle défaite, mais où conservant ce merveilleux sang-froid qui ne l’abandonnait jamais, elle donnait rapidement deux ordres.
L’un de ces ordres concernait le logis où se trouvait Farnèse. Quant à l’autre, nous en verrons l’exécution tout à l’heure.
Lorsque le prince cardinal eut vu disparaître le cheval qui emportait Charles et Violetta, il se retourna, après avoir machinalement fermé la fenêtre.
Il fallait agir vite. Nul doute, en effet, que Fausta ne cherchât à s’emparer de Violetta. Alors il regretta amèrement de ne pas avoir tué cette femme lorsqu’il la tenait dans le pavillon de l’abbaye, de ne pas avoir jeté à Claude l’ordre de reprendre pour une fois encore son métier de bourreau !
En songeant à ces choses, Farnèse descendit lentement l’escalier. Le même serviteur vêtu de noir qui avait fait entrer Belgodère se présenta pour lui ouvrir la porte. Farnèse lui remit une bourse pleine d’or en lui disant :
— Si on vient me chercher de la part de la souveraine…
Le serviteur fit le signe de la croix.
— Vous répondrez que je suis sorti d’ici en disant que je quitte Paris pour regagner l’Italie.
— Bien, monseigneur ! dit le laquais qui, en même temps, ouvrit rapidement une porte qui donnait sur une sorte de loge qu’il occupait.
Au même instant, de cette loge, s’élancèrent cinq ou six hommes qui se jetèrent sur Farnèse. En un clin d’œil, il fut désarmé, et l’un des agresseurs lui mettant la pointe d’une dague sur la poitrine, lui dit froidement :
— Monseigneur, nous avons ordre de vous ramener mort ou vif ; j’espère que vous nous épargnerez le chagrin de vous ramener mort…
Farnèse, livide, leva au ciel un regard de suprême reproche et murmura :
— O Fausta, je te reconnais !… O Dieu de justice et de bonté, vois ce que fait ton envoyée et juge-la !…
Puis, s’adressant à celui qui venait de lui parler :
— Comte, dit-il, nous suivons le même chemin depuis trois ans ; je sais donc que vous accomplirez dans toute leur rigueur les ordres que vous avez reçus. Un mot seulement : puis-je vous prier de me conduire le plus tôt possible à… celle qui vous a envoyé ?
— Monseigneur, dit celui qu’on venait d’appeler comte, votre prière sera d’autant mieux accueillie que nous devons vous conduire à l’instant même au palais de la Cité. Seulement, souvenez-vous qu’en route, un geste, un cri vous coûteraient probablement la vie.
— Je ne crierai pas, dit Farnèse avec ce calme glacial qui lui était habituel. Allons, messieurs, je vous suis. Quant à toi, ajouta-t-il en se tournant vers le serviteur noir, quant à toi, Judas, garde quand même ma bourse : ce sera pour payer ta trahison.
L’homme fit le signe de croix, s’inclina et dit :
— Dieu commande… j’obéis !…
Alors ils se mirent en route, le cardinal au milieu d’eux. Et ils avaient l’air de gentilshommes regagnant paisiblement leurs demeures. Sombre et pensif, le prince Farnèse songeait à ce palais de la Cité, à cet antre formidable d’où ceux qui y entraient n’étaient pas toujours sûrs de sortir.
Vingt minutes plus tard, la petite troupe entrait dans la maison Fausta. Le cardinal fut introduit dans une pièce meublée, mais dont la porte de chêne était garnie de ferrures solides et dont l’étroite fenêtre surplombant la Seine était protégée par d’épais barreaux.
Il demanda à être conduit aussitôt auprès de Fausta. Mais pour toute réponse, l’homme qui l’avait conduit jusqu’à cette chambre referma la porte et poussa les verrous. Farnèse tomba sur un siège. Un livide sourire crispa ses lèvres et il murmura :
— Qui sait s’il ne vaut pas mieux que je meure enfin ! La malédiction de Notre-Dame pèse sur moi, et tout ce que je
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