La Fausta
pas savoir… ce secret que Claude fût mort sur place plutôt que de le révéler en un pareil moment, semblait creuser entre eux un abîme. Et à cette contrainte, tous deux avaient hâte d’échapper.
— Le prince Farnèse, reprit Claude, est le seul qui puisse décider du sort de Violetta. Moi, je ne suis pas son père… elle ne me doit rien… et je ne suis rien pour elle… je voudrais que vous soyez bien pénétré de cette vérité primordiale…
— Je le suis, dit Charles sourdement.
— Bien ! continua Claude en pâlissant. Etant donné que je ne suis rien pour Violetta, qu’elle n’est rien pour moi, que vous pouvez partir dès que vous serez unis sans même me dire vers quel point de la terre vous dirigez vos pas…
Il s’interrompit pour souffler et passer une main sur son front.
— Etant donné tout cela, acheva-t-il, le mieux, c’est que vous soyez, dès aujourd’hui, en communication avec le prince Farnèse… le père de Violetta…
— C’est mon avis, dit Charles.
L’ancien bourreau baissa la tête. Après les paroles qu’il venait de prononcer, il ne lui restait plus qu’à partir à l’instant pour se mettre à la recherche du prince Farnèse. Et il demeurait là, abîmé dans une sombre méditation.
Le jeune homme le considérait avec une angoisse croissante. Des soupçons d’autant plus poignants qu’ils étaient plus imprécis l’envahissaient. D’où venait ce froid de glace entre lui et cet homme que Violetta avait appelé « père » ? N’étaient-ils pas liés par un sentiment qui, dès le premier regard, eût dû les faire amis à jamais ? Qu’il fût ou non en réalité le père de Violetta, cet homme, de toute évidence, éprouvait pour la jeune fille l’amour paternel poussé à ses dernières limites.
Comment se faisait-il que ce Claude s’enfermât en une attitude équivoque ? Qui était-il ? Quelle tache son contact avait-il jetée sur Violetta ? Quelle ombre descendait de cette sombre figure ?… Au moment où il se posa ces questions, Charles vit une telle douleur sur le visage de Claude que ses soupçons s’évanouirent pour un instant, et, entraîné par une instinctive pitié, il s’écria :
— Nous ne pouvons nous quitter ainsi ! Monsieur, au nom de celle que nous aimons tous deux, je vous somme de me dire qui vous êtes !…
Le bourreau jeta sur le duc un regard infiniment doux et triste.
— Ne vous l’ai-je pas dit ? fit-il d’une voix tremblante, je suis un bourgeois de Paris, et je m’appelle Claude… voilà tout !
— Non ! ce n’est pas tout !… Ce secret… ce secret qui est dans votre vie, je veux le savoir à présent…
— Ce secret ! balbutia Claude. Ecoutez, monseigneur. Je vous ai dit que Violetta elle-même vous le révélerait.
— Oh ! s’écria le jeune homme, tout de suite, alors !
Et il fit un mouvement pour s’élancer vers la pièce où Claude avait conduit la jeune fille. Mais le bourreau l’arrêta par le bras et dit :
— Le prince Farnèse… le père de l’enfant que vous allez voir tout à l’heure vous donnera sur la naissance de celle que vous aimez les explications nécessaires… Ces explications, il ne m’appartient pas de les fournir, puisque je ne suis pas le père, moi !… Monseigneur, jurez-moi de ne jamais parler de moi au prince Farnèse !… Il le faut ! ajouta-t-il rudement en voyant que le jeune homme hésitait…
— Eh bien, soit ! dit alors le duc d’Angoulême. Sur ma foi de gentilhomme, je ne prononcerai jamais votre nom devant le père de Violetta.
— Bien. Jurez-moi maintenant de ne jamais interroger Violetta sur moi. Que si elle parle d’elle-même, que si, sans y être invitée par vous, elle vous révèle le secret de ma vie, ce sera dans l’ordre. Mais jurez-moi de ne pas créer à cette enfant un tourment qu’elle ne mérite pas en cherchant à lui arracher le secret si elle pense qu’elle doit le garder.
— Je vous le jure aussi, dit Charles entraîné par cet accent de profonde tristesse que nous avons signalé.
Claude eut un geste de satisfaction.
— Adieu donc, dit-il alors. Dans une heure le prince Farnèse sera ici… Quant à moi, si vous ne me revoyez pas… écoutez…
— Pourquoi ne vous reverrais-je pas, fit Charles à la fois ému, irrité, angoissé…
— Si vous ne me revoyez pas, reprit sourdement Claude, comme s’il n’eût pas entendu, il peut se faire que l’enfant coure un danger quelconque…
— Nul ne
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