La Fausta
ainsi, dans cette paix, dans cette douceur et dans cet amour. Charles d’Angoulême, cependant, reprenait :
— Vous savez maintenant qui je suis… je serais bien heureux, en cette minute la plus heureuse de ma vie, de savoir qui est le père de celle que j’aime…
Claude, qui contemplait Violetta, releva lentement la tête. Les larmes de bonheur qui coulaient sur ses joues se figèrent au bord de ses yeux hagards. Son sourire d’infinie félicité se crispa en un sourire d’amertume affreuse.
— Qui je suis ? fit-il d’une voix étranglée. Vous voulez savoir qui je suis ?…
Charles le regarda avec un étonnement angoissé. Il entrevit quelque secret horrible dans l’attitude de Claude.
— Monsieur, balbutia-t-il, je vous ai parlé trop vite, peut-être, pardonnez-moi…
— Non, non, dit le bourreau avec un soupir qui râla dans sa gorge. Il faut que vous sachiez…
En même temps, d’un geste instinctif, il retira sa main que Charles avait prise. Cette main… cette main homicide… cette main rouge de sang… cette main de bourreau ! Jamais personne ne l’avait serrée !… Devant ce geste, Charles trembla. Il vit se décomposer le visage du père de Violetta.
— Si votre nom est un secret, dit-il avec la simplicité d’un cœur largement généreux, ne le prononcez pas… Je ne vous le demandais que pour pouvoir dire : Mon père, j’aime votre enfant… bénissez notre amour en attendant qu’un prêtre bénisse notre union…
Violetta pâlit affreusement. Elle avait compris, elle !… Toute la scène de la confession du bourreau revivait et palpitait en elle !… Qui donc voudrait épouser la fille du bourreau ?…
— Père ! oh ! mon bon père Claude ! balbutia-t-elle dans un murmure d’épouvante.
Et cette parole était adorable ! cette parole où elle reconnaissait le bourreau pour son père en une pareille seconde !…
— Non, non ! répéta Claude. Vous n’avez pas eu tort de me demander qui je suis, il faut que vous sachiez ce que je ne suis pas. Monseigneur duc, je ne suis pas le père de cette enfant !…
— Père ! père ! cria Violetta d’une voix déchirante, vous m’avez déjà dit cela ! Eh bien, moi, quoi qu’il arrive, je déclare que vous êtes mon père, et que je n’en ai jamais eu d’autre que vous !…
— Ah ! rugit le bourreau avec une sublime expression de joie et d’orgueil, bénie sois-tu, ange de douceur et d’espérance qui t’es penchée sur une existence de damné !…
En même temps et tandis que Charles demeurait stupéfait, bouleversé d’angoisse, Claude souleva Violetta dans ses bras, la serra un instant, avec un rauque sanglot, sur sa vaste poitrine, et l’emporta dans la pièce voisine où il la déposa sur un fauteuil.
— Ne bouge pas, fit-il, ne crains rien… ton vieux papa Claude arrangera tout. Tu l’épouseras, le fils du roi !… bientôt, tu seras madame la duchesse d’Angoulême…
Alors il revint dans la salle où il avait laissé Charles, en refermant la porte.
— Vous êtes étonné ? dit-il.
— Je l’avoue…
Claude se mit à marcher de long en large, pensif. Charles le considérait avec une sorte d’effroi.
— Monsieur, fit Claude en s’arrêtant tout à coup devant lui, comme je vous le disais, je ne suis pas le père de Violetta. Je l’ai seulement élevée. Il importe donc assez peu que vous sachiez ce que je suis, ou ce que j’ai été. Je vous dirai simplement que mon nom est maître Claude, et que je suis bourgeois de Paris.
Il s’arrêta, haletant, étudiant avec angoisse le visage de Charles et attendant ce qu’il allait dire.
— Il y a un secret dans votre vie, dit Charles.
— Violetta vous le dira ! fit Claude d’une voix indistincte.
— Je ne veux pas le savoir, protesta Charles doucement.
Claude eut un profond soupir.
— Ce qui importe, reprit-il en faisant un effort, c’est que je ne suis pas le père de celle que vous aimez. Violetta est la fille de Mgr Farnèse et de la très noble demoiselle Léonore de Montaigues.
— Cet homme que j’ai vu dans le pavillon de l’abbaye ?…
— Oui, c’est lui !…
— Il disait que sa fille était morte…
— Il le croyait !
— Où et quand pourrai-je revoir le prince Farnèse ?
— Je sais où le trouver.
— Eh bien, faites donc en sorte que je puisse le voir au plus tôt.
Une sorte de gêne, une sourde contrainte régnait maintenant entre les deux hommes. Ce secret que Charles ne voulait
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