La Fausta
songera à venir nous chercher ici, elle ou moi, et j’espère que demain nous aurons quitté Paris…
— Très bien, dit Claude avec un soupir. C’est pour le mieux et j’allais vous donner ce conseil. Cependant… s’il survenait quelque chose… n’importe quoi où vous pensiez que je puisse être utile à l’enfant, il y a dans la Cité, vers le milieu de la rue Calandre, derrière le marché neuf, une maison autour de laquelle l’herbe pousse, une maison basse et isolée des autres dont la porte et les fenêtres sont toujours fermées. De nuit ou de jour, tant que vous serez encore à Paris, si vous avez besoin d’aide, venez frapper à la porte de cette maison… Un dernier mot : quand partirez-vous ?
— Demain à la pointe du jour.
— Par quelle porte ?
— Je passerai rue Saint-Denis, chercher à l’auberge de la
Devinière
un ami qui m’est bien cher… car je présume qu’il a dû se réfugier là… Puis, avec le prince Farnèse et Violetta, j’irai chercher la route d’Orléans.
— Bien ! Vous sortirez donc par la porte de Notre-Dame-des-Champs…
A ces mots, Claude fit brusquement quelques pas comme s’il voulait entrer dans la pièce où se trouvait Violetta. Mais il s’arrêta court, secoua la tête et revint sur Charles qu’il contempla longuement.
— Monseigneur, dit-il alors d’une voix basse et rauque, cette enfant vous adore ; je le sais : j’en suis sûr ; c’est l’âme la plus pure, le cœur le plus généreux… elle a beaucoup souffert…
— Souffrances, misères, tout cela est fini pour elle ! dit Charles en joignant fiévreusement les mains. Si une vie d’homme tout entière passée à assurer son bonheur peut lui faire oublier les tristesses de son jeune âge, ah ! je vous jure que Violetta, dès ce moment, est pour toujours heureuse !
Une expression d’ineffable joie se répandit sur le visage du bourreau. Il salua le duc d’Angoulême avec une sorte d’humilité. Charles lui tendit les mains. Mais pour la deuxième fois, Claude feignit de ne pas voir ce geste et rapidement il sortit. Quelques instants plus tard, il était dehors.
Il examina attentivement la rue : elle était paisible et déserte comme d’habitude. Il était évident qu’on n’avait pas suivi Charles d’Angoulême fuyant la place de Grève.
— Sauvée ! murmura ardemment Claude. Maintenant, je puis bien dire qu’elle est sauvée !…
Alors, il se mit en marche, après avoir jeté sur la maison silencieuse de Marie Touchet un dernier regard éperdu de douleur et rayonnant de son sublime sacrifice. Et quand il eut fait quelques pas, il éclata en sanglots. Il s’en alla le long des berges, dans la direction de la Grève. Là, il retomba dans les groupes de peuple qui, avec force imprécations et gesticulations, commentaient les événements qui venaient de se dérouler sur la place.
Au moment où le bourreau avait quitté la maison de la rue des Barrés, un homme sortant d’une encoignure s’était mis à le suivre à distance. Cet homme, c’était l’un de ceux à qui la Fausta avait jeté un ordre près de l’estrade. Il avait sauté sur un cheval et était arrivé rue des Barrés assez à temps pour voir Claude entrer dans la maison de Marie Touchet. Alors, il avait attaché sa monture à l’un de ces anneaux de fer qui surmontaient les nombreuses bornes cavalières qui servaient aux gens couverts de fer à se hisser sur leurs selles. Et cherchant un poste d’observation, il avait attendu. Lorsque Claude était sorti, cet espion, abandonnant son cheval où il l’avait attaché, s’était mis en marche dans la même direction que l’ancien bourreau.
« Voilà, songeait Claude en marchant, une chose à laquelle je n’avais pas songé, moi ! Il a fallu que je fusse imbécile pour ne pas prévoir que cela arriverait… Je me figurais que Violetta pourrait toujours m’avouer… moi… et que simplement, j’étais un homme comme un autre, et que je pouvais vivre près d’elle, vivre de son bonheur, respirer l’air qu’elle respire… être le père enfin… Ah ! bien, oui ! Tu es le bourreau, misérable ! »
L’homme qui le suivait de loin le vit en outre descendre la berge, arriver jusqu’au bord de l’eau et demeurer longtemps debout, immobile, à regarder couler cette eau.
« Voici le fait, ruminait le malheureux en se débattant contre son désespoir, je suis le bourreau ! Rien ne peut faire que je n’aie exercé l’horrible
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