La Fausta
Maurevert.
— Que Pardaillan mourra ! Que non seulement je ne demanderai pas sa grâce au duc, mais encore que je vous le livrerai, à vous, dès qu’il sera pris !
Maurevert étouffa un rugissement. Un instant il douta si cette femme se jouait de lui. Mais non ! Dans la souveraine et majestueuse gravité de cette figure, il put lire la plus hautaine sincérité.
— Madame, dit-il avec un accent de sincérité qui chez lui semblait rude et sauvage, tout à l’heure, je vous ai dit que je remettais ma vie entre vos mains ; maintenant je vous dis que le jour où vous me demanderez cette vie, vous me trouverez prêt à mourir pour vous…
— Maintenant il est à moi ! songea Fausta. On obtient donc tout de la haine et rien de l’amour des hommes ! Monsieur de Maurevert, reprit-elle gravement, je retiens vos paroles et m’en souviendrai dans l’occasion.
— Que cette occasion vienne donc, et vous me verrez à l’œuvre. Mais, madame, ne vous semble-t-il pas qu’il est temps pour moi de rejoindre le duc de Guise ?…
— Ne craignez rien. Aucune tentative ne sera commencée contre l’auberge de la
Devinière
sans mon ordre. Et c’est vous qui porterez l’ordre. Maintenant, écoutez-moi. Je vous connais comme je connais le sire de Maineville et M. de Bussi-Leclerc, comme je connais tout ce qui entoure le duc de Guise. Je sais que vous êtes pauvre. Je sais que le duc compte assez sur votre fidélité, pour ne vous réserver que des emplois subalternes. Depuis seize ans que vous lui appartenez, vous n’avez pas réussi à faire votre fortune près de lui… peut-être parce que vous étiez absorbé par une idée fixe. En somme, vous êtes un pauvre sire, tenu à l’écart par les orgueilleux gentilshommes de Guise et vous n’avez guère d’espoir, même si Guise devient roi, surtout s’il devient roi, car plus l’homme monte haut, plus il oublie ceux qui lui ont servi de marche-pied, vous n’avez pas d’espoir, dis-je, de vous élever au-dessus de la basse condition d’un brave à qui on confie un poignard, mais qu’on a tout intérêt à laisser dans l’ombre.
— Madame, balbutia Maurevert humilié, flagellé par ces paroles d’une impitoyable vérité.
— Me suis-je trompée ?… ou plutôt ai-je été trompée ?…
— Non ! Tout ce que vous dites n’est que trop vrai !…
— Voulez-vous devenir riche d’un seul coup ? Voulez-vous acquérir fois l’argent et la haute situation à laquelle votre esprit libre peut prétendre ?… Cent mille livres vous sont assurées dès demain si vous m’obéissez ; et, dans l’avenir, un emploi important à la cour de France, quelque chose, par exemple, comme la capitainerie générale des gardes.
— Que faut-il faire ? palpita Maurevert ébloui, subjugué…
— Vous le saurez ce soir. Soyez ici à onze heures. Je vous exposerai alors ce que j’attends de vous. Maintenant vous pouvez aller rejoindre le duc. Voici mes ordres en ce qui concerne votre ennemi… Pardaillan : le prendre vivant et le conduire à la Bastille Saint-Antoine. Ajoutez que je veux être prévenue dès que l’homme sera capturé.
— Vous serez prévenue par moi-même, dit Maurevert qui s’inclina tout étourdi de ce qui lui arrivait, plus étourdi encore du ton d’autorité avec lequel cette femme donnait des ordres au roi de Paris, au futur roi de France.
Fausta fit un geste de hautaine bienveillance, et Maurevert, s’éloignant, sortit de la maison et reprit en toute hâte le chemin de la rue Saint-Denis. Quant à Fausta, si elle avait semblé conduire toute cette scène sans effort apparent, l’effort n’en était pas moins considérable, car après le départ de Maurevert, elle pencha la tête et la laissa tomber dans une de ses mains comme si elle eût été un moment accablée du poids de ses pensées.
— Pardaillan est pris, murmura-t-elle. Pris !… Conduit à la Bastille !… Est-ce de la joie ou de la terreur qui fait palpiter mon sein ?… Oh ! misérable cœur de femme ! Si je ne puis t’arracher, j’étoufferai au moins ta révolte !… Pardaillan mourra sans que je l’ai revu… Demain, j’aurai statué sur son sort…
Et secouant la tête comme pour se débarrasser d’une pensée qui la gênait à ce moment, car elle avait une admirable méthode dans le travail de ses conceptions :
— Mais qui se trouve, alors, dans l’hôtel de la rue des Barrés ?… Où est Violetta ?… Il faut que je le sache à
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