La Fausta
ses ornements venait en effet d’apparaître, suivi de deux autres prêtres en surplis.
— Allons, mon cher seigneur, dit Violetta.
— Oui, car voici minuit qui va sonner bientôt… voici l’heure où nous allons nous unir pour l’éternité…
Ils s’avancèrent lentement vers le chœur.
A mesure qu’ils avançaient, un étrange mouvement se produisait dans l’église. Des chapelles latérales noyées d’obscurité, de tous les recoins ténébreux sortaient des hommes qui, silencieusement, se mettaient à marcher derrière le couple. Bientôt, ces inconnus furent au nombre d’une trentaine et, enveloppés dans leurs manteaux, la main sur la garde de leurs épées, ils semblaient une escorte rassemblée pour le mariage secret d’un prince.
Charles et Violetta, les yeux fixés sur les trois hommes qui attendaient dans le chœur, s’avançaient en souriant. Tout à coup Charles tressaillit, et ses yeux hagards dardèrent un regard de stupéfaction et de terreur sur ceux qu’il croyait être ses amis…
Ces trois inconnus venaient de laisser tomber leurs manteaux… Et ce n’était pas Pardaillan ! Ce n’était pas Farnèse ! Ce n’était pas Claude !…
Dans le même instant Charles reconnut deux de ces hommes : il les avait vus en quelques circonstances, notamment au moulin de la butte Saint-Roch : c’étaient Maineville et Bussi-Leclerc. Quant au troisième, il portait un masque.
D’un mouvement instinctif, Charles entoura Violetta de son bras gauche, tandis que de la main droite il dégainait son poignard. Au même moment, la jeune fille jeta un cri d’épouvante. Elle aussi venait de regarder les trois hommes. Immobiles, graves, sans un geste, ils semblaient d’ailleurs n’avoir aucune mauvaise intention.
— Ne craignez rien, chère âme, dit rapidement Charles.
— Je n’ai pas peur, dit Violetta en se serrant contre lui.
Charles, alors, contempla un instant ces trois statues immobiles qui le regardaient sans parler.
— Messieurs, dit-il d’une voix sourde, que faites-vous ici ?…
— Monseigneur, répondit Bussi-Leclerc d’une voix très calme, nous sommes ici pour une double cérémonie : un mariage…
— Un mariage ! s’exclama Charles qui commençait à sentir une sueur froide pointer à la racine de ses cheveux. Quel mariage ?… Messieurs, prenez garde !
Il se sentait envahi par une folie ; son étreinte devenait convulsive.
— Quel mariage ? gronda-t-il avec un rauque soupir.
— Mais, fit à son tour Maineville, le mariage de la fille du prince Farnèse, nommée Violetta.
Violetta, mourante d’angoisse, jeta un faible gémissement.
— Oh ! rugit Charles, ceci est insensé !… Maineville ! Leclerc ! que me voulez-vous ? Prenez garde encore une fois !…
Il cherchait l’occasion de bondir et de frapper. Doucement de son bras gauche, il essayait de se dégager de l’étreinte de Violetta… Il croyait rêver… Maineville et Bussi-Leclerc, dans l’église, au lieu de Pardaillan et de Farnèse !… Seulement le beau rêve de tout à l’heure devenait un cauchemar.
— Monseigneur, dit alors Bussi-Leclerc, toujours avec le même calme, ce que nous faisons, vous allez le savoir. Nous sommes ici pour une double cérémonie — un mariage, vous ai-je dit, et si vous m’aviez laissé achever, j’aurais ajouté : une arrestation… Monseigneur, veuillez me remettre votre épée ; au nom du lieutenant général de la Sainte-Ligue, je vous arrête ! Que voulez-vous, chacun son tour, et ceci est notre revanche du moulin de Saint-Roch…
Violetta jeta une déchirante clameur. Charles éclata de rire, et, soulevant sa fiancée dans ses bras :
— Le premier de vous qui me touche est mort ! Pas un pas ! pas un geste !… ou malheur à vous !…
En parlant… en grondant ces choses, ivre de désespoir, ses forces décuplées, livide, les yeux sanglants, il reculait, Violetta dans ses bras ; il semblait vraiment que son regard eût pétrifié les trois, car ils ne bougeaient pas. Il reculait et déjà une lueur d’espoir se levait en lui.
— Monseigneur, dit alors Maineville, toute résistance serait inutile. Retournez-vous, et voyez !…
Charles, d’un geste machinal et furieux, se retourna en effet. Et une imprécation terrible jaillit de sa gorge ; devant lui, un large demi-cercle d’épées nues s’allongeait à droite et à gauche comme une pince vivante armée d’aiguillons d’acier… Au même instant, les deux
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