La Fausta
avait ceci de remarquable, que loin de tirer vanité de ses hauts faits, il en était sincèrement désolé.
— Depuis que je suis brave, disait-il, chose dont je ne m’étais jamais douté, il m’arrive d’épouvantables aventures. A la fin, j’y laisserai mes os.
Et d’un ton lugubre, il ajoutait :
— J’étais si tranquille, quand je me croyais poltron !…
— Tandis que maintenant ? demanda le chevalier.
— Maintenant, je m’effraie, je m’épouvante moi-même. Sans compter le nombre de meurtres que j’ai sur la conscience, moi qui n’aurais pas fait de mal à une mouche…
— Bah ! Tu voulais pourtant me tuer, il me semble, avec ton ami Picouic ?…
— Oui, monseigneur, et c’est un des grands remords de ma vie. Mais vous avez vu qu’il vous a suffi de me regarder de travers ce soir-là pour me faire tomber à genoux… Oh ! oh ! qu’est cela ?
A ce moment, en effet, des hurlements éclataient dans la rue. Pardaillan s’approcha de la fenêtre et examina ce qui se passait ; il se passait simplement que deux troupes d’archers venaient de prendre position dans la rue et que le peuple les acclamait, et en profitait pour acclamer surtout le duc de Guise, bien que celui-ci fût absent. Les cris de : « Vive Henri le Saint ! Vive le grand Henri ! Vive le pilier de l’église ! » alternaient avec les cris de : « Mort à Hérode ! Mort à Nabuchodonosor ! Mort aux parpaillots !… » D’ailleurs, les cris de vive et les cris de mort, après s’être balancés et heurtés, finissaient par se confondre fraternellement dans une même clameur :
— La messe ! La messe !…
— Je me demande un peu pourquoi ces gens veulent aller à la messe, murmura Pardaillan en refermant la fenêtre. Eh ! que n’y vont-ils, à la messe !
Il sortit de la chambre suivi de près par Croasse, qui eût préféré mourir plutôt que de se retrouver seul sur son champ de bataille. Les hurlements du dehors avaient produit leur effet sur Croasse. Lorsqu’ils atteignirent la grande salle, maintenant déserte, il tremblait et grelottait.
— Ah çà ! dit Pardaillan, aurais-tu faim, par hasard ?
La tranquillité parfaite du chevalier, cette question qui ne sentait pas la bataille, réveillèrent le courage de Croasse qui répondit :
— Ma foi, monseigneur, faim et soif. Vous savez, ou vous ne savez pas… après ces terribles assauts, l’appétit se trouve toujours excité…
— Eh bien, dit Pardaillan, nourris-toi et abreuve-toi ; passe dans la cuisine où tu trouveras tout ce qu’il faut pour satisfaire un appétit princier, car la cuisine de la
Devinière
est la première cuisine de Paris, et même du monde…
A ce moment, de cette cuisine dont le chevalier faisait un si bel éloge en de si singulières circonstances, apparut l’hôtesse portant un bol et des bandages de linge. Huguette déposa le tout sur une table. Machinalement, Pardaillan alla jusqu’à la porte de la cuisine. Il y jeta un coup d’œil et s’arrêta ; un sourire d’ironie et peut-être d’envie détendit ses lèvres et il murmura :
— En voilà deux qui sont heureux… Pourquoi les déranger ?… Pauvre diable !
Et Pardaillan referma doucement la porte de la cuisine et poussa un meuble devant, afin que la grande salle étant envahie, lui pris, les gens de Guise ne songeassent pas à pénétrer dans cette cuisine où le maigre et gigantesque Croasse venait de pénétrer et se dirigeait droit sur l’armoire aux provisions.
Croasse, en effet, sur l’invitation du chevalier, était entré dans la cuisine déserte et en avait rapidement passé l’inspection. Il ouvrait un placard lorsqu’il entendit tout à coup derrière lui un grognement féroce ; en même temps il sentit une vive douleur à son mollet droit.
— L’ennemi ! l’ennemi ! hurla-t-il d’une voix de stentor qu’on entendit de la rue et qui fit reculer les arquebusiers, persuadés qu’un grand nombre d’assiégés se préparaient à faire une sortie.
Croasse aperçut une lardoire, s’en empara et se retournant :
— Ah ! misérables ! Même au moment de dîner ! Attendez ! Vous saurez ce que c’est qu’un brave !…
Et Croasse se mit à pousser des vociférations terribles tout en se démenant et en s’escrimant avec frénésie. Mais cette fois, dans cette nouvelle bataille, il se produisit deux événements qui l’étonnèrent : d’abord l’ennemi lui avait fait sentir les armes, puisqu’il
Weitere Kostenlose Bücher